mardi 17 novembre 2009

Noir Express : "Sous le signe du rosaire (Le retour)" (C. C. XIII) par Alain Pecunia, Chapitre 11

Chapitre 11





Ce même vendredi 2 janvier, le commandant Pierre Cavalier avait été appelé, peu de temps après son arrivée rue des Saussaies, dans le bureau du directeur.
Un visiteur l’y attendait. Énarque poli et élégant mais plein de suffisance.
– Je vous laisse, dit le directeur en s’éclipsant de son propre bureau une fois les présentations faites.
Le visiteur s’assit nonchalamment d’une fesse sur le bureau directorial dans une attitude conquérante.
Cavalier se dit qu’il n’arriverait jamais à se faire à ces « émissaires » de l’Élysée. En un sens, sa démission tomberait bien. Il en serait débarrassé !
Avec eux, on ne savait jamais qui parlait.
La demande ou la décision transmise par l’émissaire provenait-elle réellement du chef de l’État ou était-elle une interprétation plus ou moins fidèle d’un vague souhait supposé ? Était-ce un ordre ou un simple message à l’origine ?
Les questions pouvaient être sans fin et tous les jeux permis. Et, en cas de bavure, comme pour le Rainbow Warrior, personne n’aurait jamais rien dit ni demandé.
Un « service » ne reçoit jamais d’ordre écrit.
Pierre Cavalier contourna l’émissaire et alla s’asseoir le plus naturellement du monde dans le fauteuil du directeur.
Ce qui eut l’avantage de désarçonner le visiteur et de lui rappeler qu’il n’était qu’un « coursier ».
L’émissaire leva sa fesse du bureau et un tic de la bouche fit comprendre à Cavalier que le message était passé.
Son attitude devenue déférente le lui confirma.
Il avait manifestement compris qu’il n’avait pas que le commandant Cavalier de la Direction centrale des Renseignements généraux, affecté à la section des « affaires spéciales », en face de lui, mais le nouveau patron officieux du « Service » – tout aussi officieux puisqu’il ne figurait dans aucun organigramme de l’État.
D’ailleurs, s’il était là, c’est qu’« on » – « en haut lieu », comme disait le directeur – avait besoin du « Service ».
Pierre Cavalier ne rompit pas le silence qui s’était installé.
Manifestement, l’émissaire semblait chercher ses mots. « Tout est dans la formulation du message », se dit Cavalier en souriant à lui-même derrière son masque d’impassibilité.
– Voilà, commença par dire l’émissaire, on (il appuya sur le « on », ce qui était tout à fait inutile) vous demande de neutraliser ce dingue au collier…
Cavalier faillit sursauter et demander pour quelle raison.
Il craignit que son interlocuteur ne décèle sa surprise, mais celui-ci était tout à son laïus.
– Il représente un danger pour l’État…
« Mais c’est quoi ce micmac ? se demandait Cavalier. Phil, un danger pour l’État ! »
L’émissaire avait repris de l’assurance.
– Mais ne le neutralisez que quand il aura été identifié avec certitude. Faites pour le mieux, mais il faut absolument qu’on soit débarrassé de ce dingue. D’accord ?
Le commandant Cavalier opina du chef. Cela ne l’engageait en rien.
Il se sentait plus léger et déchira mentalement sa lettre de démission.
Il avait quelques coups de téléphone à passer.


© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

Aucun commentaire: