Chapitre 10
Le lendemain matin, le vendredi 8, je me suis rendu seul à la gendarmerie de Bernay.
J’ai été reçu au bout d’un quart d’heure par le brigadier.
– Qu’y a-t-il pour votre service, commandant ?
J’avais décidé l’offensive sans concession.
– Mettre les choses au clair, commençai-je, même si ce ne sont pas mes affaires. Mais ça peut le devenir…
– Serait-ce une menace ? Cela me surprend de votre part.
– Non, brigadier. Mais vous savez parfaitement que Salvatore Patronicci est l’auteur du meurtre de Dominique Pieri et, probablement, de celui de Jacques Berton.
– Oui. Et alors ?
J’étais soufflé.
– Que voulez-vous, je le sais, mais je n’ai pas de preuves.
Il avait l’avantage, le savait et prit la peine de se fendre d’un large sourire avant de poursuivre.
– Lors de la découverte du cadavre d’Annabelle Patronicci, nous avons rapidement soupçonné Jacques Berton. Mais il s’était enfui. Puis, ensuite, il y a eu l’installation de Salvatore Patronicci. Qui venait attendre le retour du meurtrier. Que voulez-vous ? lui il y croyait… Aussi, dès le retour de Berton sous prétexte du décès de sa sœur – pas très clair d’ailleurs son suicide par pendaison, on peut y voir la main de Patronicci pour accélérer le retour du dernier des rejetons Berton –, je les ai surveillés tous deux… Nous avons eu droit à l’explosion suspecte du garage des Berton et à l’incendie – à la grenade incendiaire, s’il vous plaît ! – de la pizzeria Patronicci… Nous étions observateurs et nous le sommes restés – je ne vous apprendrai rien en vous disant que, si la justice a parfois du mal à éliminer les malfaisants, parfois, ceux-ci y parviennent plus facilement en s’entretuant… Je ne suis pas contre – officieusement, s’entend –, et vous, commandant ?
Je revoyais mon séjour du mois de juillet dans le pays de Retz et repensais aux moyens que j’avais employés.
J’opinai.
– À la bonne heure ! J’étais sûr que nous nous comprendrions… Bref, il est évident que Patronicci a mutilé le sieur Pieri puis l’a achevé. Comme il a sûrement assassiné le sieur Berton… Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi qui l’ai rencontré plusieurs fois et l’ai bien observé, ce Berton, je puis vous assurer qu’il ne faisait pas le poids face au Sicilien, surtout que ce dernier avait rameuté de la « main-d’œuvre » – des « cousins »… Et je l’imagine mal réussissant à lui échapper. Donc, le corps n’est pas loin. Mais où ? Vous avez une idée, commandant ?
J’avais la bouche sèche de toutes ces révélations qui recoupaient mes déductions.
Le brigadier attendait patiemment ma réponse.
– À mon avis, il se trouve dans la tombe de la fille de Patronicci.
– La tombe d’Annabelle, la seule du cimetière qui n’ait pas de nom ? Je suis d’accord avec vous… Mais, si je la fais ouvrir, poursuivit-il d’un air matois, qui me prouve que le corps de Berton ait été mis là par le papa Patronicci ? J’ai une présomption mais toujours pas de preuve, n’est-ce pas ?
– Je vous l’accorde.
Il se pencha vers moi à travers son bureau en prenant appui de ses deux coudes.
– Je vais vous confier un secret… Le marbrier attend, pour le début de la semaine prochaine, une superbe dalle funéraire avec stèle monumentale, le tout du plus beau marbre de Carrare – limite convoi exceptionnel, si vous voyez le genre… Bref, le papa Patronicci a prévenu le marbrier qu’il n’avait qu’à s’occuper de la livraison. Lui et sa famille s’occuperont de l’installation. Il lui a présenté ça, cet enfoiré de mafieux, comme une vieille tradition sicilienne !… Donc, j’ai dit au marbrier, qui est venu s’en inquiéter auprès de moi, de les laisser faire. Comme ça, je pourrai les surprendre en train d’ouvrir la fosse et, si le corps de Berton s’y trouve – comme nous le supposons tous deux –, les arrêter tous quand ils commenceront l’installation de leur monument, en flagrant délit de dissimulation et recel de cadavre…
Je me sentais quelque peu rassuré, mais nous étions le 8 et il s’agissait de prendre de vitesse les possibles conneries de Phil et des deux vieux.
– Ah oui ! j’allais oublier, reprit le brigadier. Le vieux Patronicci tient absolument à faire sa maçonnerie le vendredi 15, le jour de l’Assomption… Que voulez-vous, encore une tradition sicilienne !
Je ne savais pas comment j’allais pouvoir retenir mes trois lascars toute une semaine. Mais j’eus l’impression que le brigadier lisait dans mes pensées.
– D’ici là, vous savez, s’il y a du nettoyage dans l’air, c’est que Dieu l’aura voulu ! Ce n’est pas moi qui irai m’en plaindre en cette période de restriction budgétaire…
Il éclata de rire sur ces bons mots.
Je ne pus que sourire jaune.
– À bientôt, commandant. De toute façon, je passerai vous voir pour faire signer au grand-père de la petite sa déposition en tant que « découvreur » du cadavre du bois. Je ne vais quand même pas convoquer ce brave homme et éminent professeur à la gendarmerie, n’est-ce pas ?
Il m’a accompagné jusqu’à la sortie, mais je n’ai pas compris pourquoi il m’a souhaité « bonne chance » d’un air entendu. Mais je savais que j’allais en avoir besoin.
Ce que m’a confirmé la vision des deux vieux en train de discuter de façon animée avec Phil à l’entrée du chemin d’accès à notre fermette.
Que pouvaient-ils bien comploter ? Je ne voyais pas George et Marcelle, à soixante-dix ans, et encore moins Phil, le pacifique prof de lettres, se transformer en desperados.
Ça sentait quand même les emmerdes à venir s’ils provoquaient le Salvatore Patronicci d’une façon ou d’une autre.
Il me fallait les protéger contre eux-mêmes et tenir Isa et notre fille à l’écart.
Ces mafieux, au nombre de cinq selon le brigadier, étaient loin d’être des enfants de chœur. S’ils apprenaient ou savaient déjà – et pourquoi pas ? – qu’Isa et moi étions officiers de police, ils pouvaient même s’imaginer dans leur tête de tarés que nous étions là en opération clandestine contre eux.
J’ai expliqué longuement à Isa le fruit de mes cogitations après lui avoir fait le compte rendu de mon entretien avec le brigadier. Qu’il laissait le champ libre à un éventuel « assainissement » providentiel. Qu’il resterait, à mon sens, en retrait. Pour compter les coups. Mais elle refusa tout net de partir avec Philippine ou d’aller terminer ailleurs ses vacances pour les raisons de sécurité évidentes que je lui exposai.
Elle voyait les choses différemment. Elle estimait que le brigadier était correct. Qu’il resterait effectivement en retrait mais aurait toujours un œil sur nous, de jour comme de nuit. Que ça représentait une sacrée protection.
Que Patronicci et ses quatre sbires n’oseraient jamais s’attaquer frontalement à nous car il devait bien se douter que la cavalerie ne serait jamais bien loin.
Qu’il n’était pas question qu’elle parte sans moi. Qu’elle veillerait sur notre fille. Qu’il n’y avait d’ailleurs aucune raison de se mêler de tout ça. Qu’il n’y avait qu’à laisser faire le brigadier et ses hommes le jour de la pose de la dalle de marbre. Le 15 août.
– Mais c’est Phil et les deux vieux qui sont en train de nous mêler à tout ça ! ai-je protesté. Te rends-tu compte que, pour nous et notre fille, ils représentent un danger aussi importants que le Patronicci s’ils s’amusent à le défier avec leurs projets débiles que nous ignorons totalement ? Et nous n’avons que nos deux flingues de service ! Avec ça, on ne va pas loin face à des individus qui disposent à leur guise de tout un arsenal allant de l’arme de poing sophistiquée au lance-roquettes en passant par les explosifs en tout genre !
© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.
Le lendemain matin, le vendredi 8, je me suis rendu seul à la gendarmerie de Bernay.
J’ai été reçu au bout d’un quart d’heure par le brigadier.
– Qu’y a-t-il pour votre service, commandant ?
J’avais décidé l’offensive sans concession.
– Mettre les choses au clair, commençai-je, même si ce ne sont pas mes affaires. Mais ça peut le devenir…
– Serait-ce une menace ? Cela me surprend de votre part.
– Non, brigadier. Mais vous savez parfaitement que Salvatore Patronicci est l’auteur du meurtre de Dominique Pieri et, probablement, de celui de Jacques Berton.
– Oui. Et alors ?
J’étais soufflé.
– Que voulez-vous, je le sais, mais je n’ai pas de preuves.
Il avait l’avantage, le savait et prit la peine de se fendre d’un large sourire avant de poursuivre.
– Lors de la découverte du cadavre d’Annabelle Patronicci, nous avons rapidement soupçonné Jacques Berton. Mais il s’était enfui. Puis, ensuite, il y a eu l’installation de Salvatore Patronicci. Qui venait attendre le retour du meurtrier. Que voulez-vous ? lui il y croyait… Aussi, dès le retour de Berton sous prétexte du décès de sa sœur – pas très clair d’ailleurs son suicide par pendaison, on peut y voir la main de Patronicci pour accélérer le retour du dernier des rejetons Berton –, je les ai surveillés tous deux… Nous avons eu droit à l’explosion suspecte du garage des Berton et à l’incendie – à la grenade incendiaire, s’il vous plaît ! – de la pizzeria Patronicci… Nous étions observateurs et nous le sommes restés – je ne vous apprendrai rien en vous disant que, si la justice a parfois du mal à éliminer les malfaisants, parfois, ceux-ci y parviennent plus facilement en s’entretuant… Je ne suis pas contre – officieusement, s’entend –, et vous, commandant ?
Je revoyais mon séjour du mois de juillet dans le pays de Retz et repensais aux moyens que j’avais employés.
J’opinai.
– À la bonne heure ! J’étais sûr que nous nous comprendrions… Bref, il est évident que Patronicci a mutilé le sieur Pieri puis l’a achevé. Comme il a sûrement assassiné le sieur Berton… Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi qui l’ai rencontré plusieurs fois et l’ai bien observé, ce Berton, je puis vous assurer qu’il ne faisait pas le poids face au Sicilien, surtout que ce dernier avait rameuté de la « main-d’œuvre » – des « cousins »… Et je l’imagine mal réussissant à lui échapper. Donc, le corps n’est pas loin. Mais où ? Vous avez une idée, commandant ?
J’avais la bouche sèche de toutes ces révélations qui recoupaient mes déductions.
Le brigadier attendait patiemment ma réponse.
– À mon avis, il se trouve dans la tombe de la fille de Patronicci.
– La tombe d’Annabelle, la seule du cimetière qui n’ait pas de nom ? Je suis d’accord avec vous… Mais, si je la fais ouvrir, poursuivit-il d’un air matois, qui me prouve que le corps de Berton ait été mis là par le papa Patronicci ? J’ai une présomption mais toujours pas de preuve, n’est-ce pas ?
– Je vous l’accorde.
Il se pencha vers moi à travers son bureau en prenant appui de ses deux coudes.
– Je vais vous confier un secret… Le marbrier attend, pour le début de la semaine prochaine, une superbe dalle funéraire avec stèle monumentale, le tout du plus beau marbre de Carrare – limite convoi exceptionnel, si vous voyez le genre… Bref, le papa Patronicci a prévenu le marbrier qu’il n’avait qu’à s’occuper de la livraison. Lui et sa famille s’occuperont de l’installation. Il lui a présenté ça, cet enfoiré de mafieux, comme une vieille tradition sicilienne !… Donc, j’ai dit au marbrier, qui est venu s’en inquiéter auprès de moi, de les laisser faire. Comme ça, je pourrai les surprendre en train d’ouvrir la fosse et, si le corps de Berton s’y trouve – comme nous le supposons tous deux –, les arrêter tous quand ils commenceront l’installation de leur monument, en flagrant délit de dissimulation et recel de cadavre…
Je me sentais quelque peu rassuré, mais nous étions le 8 et il s’agissait de prendre de vitesse les possibles conneries de Phil et des deux vieux.
– Ah oui ! j’allais oublier, reprit le brigadier. Le vieux Patronicci tient absolument à faire sa maçonnerie le vendredi 15, le jour de l’Assomption… Que voulez-vous, encore une tradition sicilienne !
Je ne savais pas comment j’allais pouvoir retenir mes trois lascars toute une semaine. Mais j’eus l’impression que le brigadier lisait dans mes pensées.
– D’ici là, vous savez, s’il y a du nettoyage dans l’air, c’est que Dieu l’aura voulu ! Ce n’est pas moi qui irai m’en plaindre en cette période de restriction budgétaire…
Il éclata de rire sur ces bons mots.
Je ne pus que sourire jaune.
– À bientôt, commandant. De toute façon, je passerai vous voir pour faire signer au grand-père de la petite sa déposition en tant que « découvreur » du cadavre du bois. Je ne vais quand même pas convoquer ce brave homme et éminent professeur à la gendarmerie, n’est-ce pas ?
Il m’a accompagné jusqu’à la sortie, mais je n’ai pas compris pourquoi il m’a souhaité « bonne chance » d’un air entendu. Mais je savais que j’allais en avoir besoin.
Ce que m’a confirmé la vision des deux vieux en train de discuter de façon animée avec Phil à l’entrée du chemin d’accès à notre fermette.
Que pouvaient-ils bien comploter ? Je ne voyais pas George et Marcelle, à soixante-dix ans, et encore moins Phil, le pacifique prof de lettres, se transformer en desperados.
Ça sentait quand même les emmerdes à venir s’ils provoquaient le Salvatore Patronicci d’une façon ou d’une autre.
Il me fallait les protéger contre eux-mêmes et tenir Isa et notre fille à l’écart.
Ces mafieux, au nombre de cinq selon le brigadier, étaient loin d’être des enfants de chœur. S’ils apprenaient ou savaient déjà – et pourquoi pas ? – qu’Isa et moi étions officiers de police, ils pouvaient même s’imaginer dans leur tête de tarés que nous étions là en opération clandestine contre eux.
J’ai expliqué longuement à Isa le fruit de mes cogitations après lui avoir fait le compte rendu de mon entretien avec le brigadier. Qu’il laissait le champ libre à un éventuel « assainissement » providentiel. Qu’il resterait, à mon sens, en retrait. Pour compter les coups. Mais elle refusa tout net de partir avec Philippine ou d’aller terminer ailleurs ses vacances pour les raisons de sécurité évidentes que je lui exposai.
Elle voyait les choses différemment. Elle estimait que le brigadier était correct. Qu’il resterait effectivement en retrait mais aurait toujours un œil sur nous, de jour comme de nuit. Que ça représentait une sacrée protection.
Que Patronicci et ses quatre sbires n’oseraient jamais s’attaquer frontalement à nous car il devait bien se douter que la cavalerie ne serait jamais bien loin.
Qu’il n’était pas question qu’elle parte sans moi. Qu’elle veillerait sur notre fille. Qu’il n’y avait d’ailleurs aucune raison de se mêler de tout ça. Qu’il n’y avait qu’à laisser faire le brigadier et ses hommes le jour de la pose de la dalle de marbre. Le 15 août.
– Mais c’est Phil et les deux vieux qui sont en train de nous mêler à tout ça ! ai-je protesté. Te rends-tu compte que, pour nous et notre fille, ils représentent un danger aussi importants que le Patronicci s’ils s’amusent à le défier avec leurs projets débiles que nous ignorons totalement ? Et nous n’avons que nos deux flingues de service ! Avec ça, on ne va pas loin face à des individus qui disposent à leur guise de tout un arsenal allant de l’arme de poing sophistiquée au lance-roquettes en passant par les explosifs en tout genre !
© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.
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