jeudi 2 octobre 2008

Noir Express : "Sous le signe du rosaire" (C. C. VI) par Alain Pecunia, Chapitre 21

Chapitre 21





Lorsque je lui ai raconté cette conversation avec Isabelle, le Dr Lévy a trouvé tout ça fort intéressant. Il m’a écouté avec beaucoup d’attention. Puis il a longuement hoché la tête.
– Vous voyez, a-t-il commenté, tout compte fait, vous avez de la chance que votre manuscrit n’ait pas été publié. Qu’il n’ait eu que moi comme lecteur…
Je n’ai pas bien compris ce qu’il voulait dire ou me faire comprendre.
En tout cas, il me conseilla vivement de poursuivre cette relation et me félicita d’avoir eu la grandeur d’âme, la sagesse, de ne pas tenir rigueur de ses aveux à ma jeune amie.
– Vous avez énormément progressé, vous savez ?
Le Dr Lévy a toujours de bons conseils dont je sais tirer le meilleur profit, mais je suis quand même plus intelligent que lui.
Et ne parlons pas de cette police d’incapables.
Je n’étais pas près de commettre la moindre petite erreur.
D’abord, je me suis débarrassé de la couverture de maman – je veux parler de l’habit de Père Noël qui lui en servait lieu – en profitant du premier ramassage de vêtements de la Croix-Rouge.
Ensuite, j’ai été abandonner le rosaire de maman sur un banc de l’église Saint-Pierre-du-Gros-Caillou. – L’église, elle est presque en face de chez nous.
Ça n’a quand même pas été une mince affaire que de le « piquer » à nouveau à maman.
– Quoi ! après ma couverture, tu me voles mon rosaire !
– Mais non, maman, c’est pour le nettoyer.
– Il est très bien comme ça !
De force que j’ai dû le lui arracher.
Mais, maman, elle n’a pas trop de force dans les mains. Plus du tout, d’ailleurs. C’est pour la forme qu’elle résistait. Comme à son habitude depuis qu’elle est morte.
Et puis, j’ai pris une grande décision.
Faut dire que, pour les soins, c’est pas commode de courir d’une pièce à l’autre. Puis j’en ai assez de l’obscurité où est plongé mon bureau depuis que j’y ai emménagé Ghislaine.
De toute façon, depuis ma rencontre avec Isabelle, je n’éprouve plus le même plaisir avec elles deux. Je m’en désintéresse, en quelque sorte.
Oh ! bien sûr, elles ne le manifestent pas de la même façon. Chacune avec son caractère, comme les femmes.
Maman, ce sont des jérémiades.
– Philippe-Henri, tu me délaisses, mon chéri…
« Mon chéri », ça c’est nouveau. Et quand on faisait des choses, maman et moi, elle exigeait toujours que je la vouvoie pendant le temps que ça durait. Le reste du temps elle le passait à me rabrouer et à me faire jouer le larbin.
Jamais maman ne m’a dit « mon chéri » ou « je t’aime ».
Maintenant, il est trop tard. Je m’en tape.
Alors je lui ai collé un gros morceau de scotch d’emballage, du marron bien collant, sur la bouche.
Ghislaine, c’est différent. Mais c’est presque plus insupportable à la longue que les manifestations bruyantes de maman. Elle fait dans le larmoyant silencieux. C’est sa nature. Elle n’y peut rien. Moi, si. Et hop ! un gros morceau de scotch sur les yeux.
Donc, ma grande décision, ça a été de les regrouper dans notre chambre à maman et à moi. Chacune son lit. Maman, le sien. Ghislaine, le mien.
Il m’a fallu mille précautions pour déménager Ghislaine.
C’est pas une question de poids – elle est encore moins lourde qu’avant – mais de fragilité.
Elles n’ont pas pipé mot. De toute façon, l’une ne pouvait pas brailler ni l’autre larmoyer.
En tout cas, ça m’a grandement facilité les soins et ma vie tout court.
J’ai nettoyé le canapé en cuir et Emmaüs est venu le chercher.
Le même jour, je me suis fait livrer un superbe canapé-lit.
J’ai enfin l’impression d’être chez moi.
Et, surtout, j’ai de la lumière pour travailler à mon bureau. Ça a fait chuter ma note d’électricité. C’est pas croyable.
Je ne ferme même pas les persiennes la nuit.
J’ai aussi acheté un portable pour communiquer plus facilement avec Isabelle.


© Alain Pecunia, 2008.Tous droits réservés.

Aucun commentaire: