Chapitre 5
À midi et demi, j’ai allumé le barbecue.
Les deux vieux étaient toujours scotchés autour de la table sur la pelouse avec Phil. Ils en étaient à présent à l’apéritif. Au pastis. Même Papy en avait arrosé sa sempiternelle menthe à l’eau.
Marcelle et Georges acceptèrent l’invitation à déjeuner d’Isabelle.
– Mais on ne voudrait pas déranger…
Le vieux, il a fallu qu’il vienne se mêler de mon barbecue.
– Ah ! vous le faites prendre comme ça, vous, me dit-il d’un air condescendant. C’est bien une méthode de Parisien ! Moi, à votre place…
Isa m’a apporté une Despe bien fraîche au moment opportun. Je l’ai bue à petites gorgées tout en attisant mes braises et en écoutant Georges d’une oreille parfaitement inattentive.
La salade composée et les saucisses aux herbes ont été englouties en silence. Ensuite, fromages et glaces.
– On voit bien que c’est de l’industriel, commenta Marcelle avant même d’entamer sa portion de vanille-fraise. C’est bon, mais c’est quand même de l’industriel… Ce soir, je vous apporterai de la mienne, vous m’en direz des nouvelles !
– Ce soir…, ai-je tenté.
– Ben oui, dit Georges en se frottant le dos contre le dossier de sa chaise. Ici, c’est pas comme chez vous à Paris. Quand on invite, c’est pas que pour le midi, c’est aussi pour le soir. Hein, Marcelle ?
– Pour sûr ! Ici on sait traiter ses invités. Et d’habitude, le repas du dimanche midi, c’est pas que salade-charcuteries. Il faut au moins deux plats. Poisson et viande. Et sans oublier le hors-d’œuvre et le fromage et les tartes… C’est bien pratique, y’a qu’à finir le soir. Mais vous ne pouviez pas savoir. C’est très sympathique comme ça, et puis, vous venez juste d’arriver d’hier…
J’ai regardé Isa avec effarement. Mais elle a détourné son regard.
Ce n’est pas ainsi que j’envisageais mes vacances vertes.
Après le café, Phil s’est laissé embarqué pour une belote. Lui qui n’avait sûrement jamais touché une carte de sa vie.
Sa réflexion joyeuse me détrompa.
– Ça me rappellera avec maman nos parties de bataille !
Évidemment, il manquait un quatrième.
Les regards des trois vieux convergèrent vers moi.
Je me suis retrouvé coincé tout l’après-midi.
À un moment, Georges a interpellé Isa qui s’était installée à quelques pas de nous au pied de l’érable rouge qui trônait au milieu de la pelouse.
– Votre cousin, il vous a pas dit ?
– Dit quoi ? répondit Isa en levant le nez de son magazine.
Georges s’est tourné vers sa femme.
– Ben, tu vois, ils savent pas !
Ils avaient des mines de conspirateurs. Moi, les deux vieux, je ne les sentais pas. Ils auraient été parfaits dans L’Auberge rouge. Cette histoire de couple d’aubergistes qui trucident les voyageurs qui ont la mauvaise idée de s’arrêter pour la nuit dans leur coupe-gorge.
Marcelle interrompit mes pensées malveillantes.
– Mais faudrait pas que ça leur gâche leurs vacances…
– De toute façon, la coupa Georges, il n’y a pas eu de meurtre. Simplement une disparition…
– Deux ! Tu oublies ce M. Domi qui était si gentil. Et puis il y a eu aussi la petite qu’on a retrouvée dans le champ à côté là où il y avait l’ancienne grange…
– Oui, mais celle-là, c’est de l’histoire ancienne*.
Je n’ai pas tout compris. Il était question d’une jeune Sicilienne, « la fille unique de ce brave M. Patronicci », qui faisait de si bonnes pizzas en ville – « Allez-y de notre part. Vous nous en direz des nouvelles ! » –, dont on avait retrouvé là le corps sept ans plus tôt. Puis on sauta à la famille Berton, des antiquaires, qui avaient cette maison sur notre gauche à deux cents mètres à travers champs. Leur fille que l’on avait « retrouvée pendue dans le bois juste derrière chez eux et qui vient jusqu’à chez vous ». De désespoir.
Et le frère, le Jacquot, qui était revenu du Venezuela après douze ans d’absence pour toucher l’héritage. « Un gros ! » commenta Marcelle. Il était arrivé début avril et son ami, « M. Domi », quelques jours plus tard.
– Puis ils ont disparu comme ça. Juste avant votre arrivée. Sans même nous dire au revoir. Vous vous rendez compte ? Alors que j’avais toujours entretenu la maison de Mme Berton et que Georges y faisait tous les travaux !
À midi et demi, j’ai allumé le barbecue.
Les deux vieux étaient toujours scotchés autour de la table sur la pelouse avec Phil. Ils en étaient à présent à l’apéritif. Au pastis. Même Papy en avait arrosé sa sempiternelle menthe à l’eau.
Marcelle et Georges acceptèrent l’invitation à déjeuner d’Isabelle.
– Mais on ne voudrait pas déranger…
Le vieux, il a fallu qu’il vienne se mêler de mon barbecue.
– Ah ! vous le faites prendre comme ça, vous, me dit-il d’un air condescendant. C’est bien une méthode de Parisien ! Moi, à votre place…
Isa m’a apporté une Despe bien fraîche au moment opportun. Je l’ai bue à petites gorgées tout en attisant mes braises et en écoutant Georges d’une oreille parfaitement inattentive.
La salade composée et les saucisses aux herbes ont été englouties en silence. Ensuite, fromages et glaces.
– On voit bien que c’est de l’industriel, commenta Marcelle avant même d’entamer sa portion de vanille-fraise. C’est bon, mais c’est quand même de l’industriel… Ce soir, je vous apporterai de la mienne, vous m’en direz des nouvelles !
– Ce soir…, ai-je tenté.
– Ben oui, dit Georges en se frottant le dos contre le dossier de sa chaise. Ici, c’est pas comme chez vous à Paris. Quand on invite, c’est pas que pour le midi, c’est aussi pour le soir. Hein, Marcelle ?
– Pour sûr ! Ici on sait traiter ses invités. Et d’habitude, le repas du dimanche midi, c’est pas que salade-charcuteries. Il faut au moins deux plats. Poisson et viande. Et sans oublier le hors-d’œuvre et le fromage et les tartes… C’est bien pratique, y’a qu’à finir le soir. Mais vous ne pouviez pas savoir. C’est très sympathique comme ça, et puis, vous venez juste d’arriver d’hier…
J’ai regardé Isa avec effarement. Mais elle a détourné son regard.
Ce n’est pas ainsi que j’envisageais mes vacances vertes.
Après le café, Phil s’est laissé embarqué pour une belote. Lui qui n’avait sûrement jamais touché une carte de sa vie.
Sa réflexion joyeuse me détrompa.
– Ça me rappellera avec maman nos parties de bataille !
Évidemment, il manquait un quatrième.
Les regards des trois vieux convergèrent vers moi.
Je me suis retrouvé coincé tout l’après-midi.
À un moment, Georges a interpellé Isa qui s’était installée à quelques pas de nous au pied de l’érable rouge qui trônait au milieu de la pelouse.
– Votre cousin, il vous a pas dit ?
– Dit quoi ? répondit Isa en levant le nez de son magazine.
Georges s’est tourné vers sa femme.
– Ben, tu vois, ils savent pas !
Ils avaient des mines de conspirateurs. Moi, les deux vieux, je ne les sentais pas. Ils auraient été parfaits dans L’Auberge rouge. Cette histoire de couple d’aubergistes qui trucident les voyageurs qui ont la mauvaise idée de s’arrêter pour la nuit dans leur coupe-gorge.
Marcelle interrompit mes pensées malveillantes.
– Mais faudrait pas que ça leur gâche leurs vacances…
– De toute façon, la coupa Georges, il n’y a pas eu de meurtre. Simplement une disparition…
– Deux ! Tu oublies ce M. Domi qui était si gentil. Et puis il y a eu aussi la petite qu’on a retrouvée dans le champ à côté là où il y avait l’ancienne grange…
– Oui, mais celle-là, c’est de l’histoire ancienne*.
Je n’ai pas tout compris. Il était question d’une jeune Sicilienne, « la fille unique de ce brave M. Patronicci », qui faisait de si bonnes pizzas en ville – « Allez-y de notre part. Vous nous en direz des nouvelles ! » –, dont on avait retrouvé là le corps sept ans plus tôt. Puis on sauta à la famille Berton, des antiquaires, qui avaient cette maison sur notre gauche à deux cents mètres à travers champs. Leur fille que l’on avait « retrouvée pendue dans le bois juste derrière chez eux et qui vient jusqu’à chez vous ». De désespoir.
Et le frère, le Jacquot, qui était revenu du Venezuela après douze ans d’absence pour toucher l’héritage. « Un gros ! » commenta Marcelle. Il était arrivé début avril et son ami, « M. Domi », quelques jours plus tard.
– Puis ils ont disparu comme ça. Juste avant votre arrivée. Sans même nous dire au revoir. Vous vous rendez compte ? Alors que j’avais toujours entretenu la maison de Mme Berton et que Georges y faisait tous les travaux !
* Voir Le Sanglot de Satan.
© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.
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