mardi 21 octobre 2008

Noir Express : "Sans se salir les mains" (C. C. VII) par Alain Pecunia, Chapitre 1 (suite 1)

Chapitre 1 (suite 1)






J’ai alors ressenti un immense besoin de m’asseoir. Je me suis laissé tomber de tout mon poids sur la première chaise venue. Quatre-vingts kilos qui se sont abattus d’une masse.
Je commençais de perdre mon calme.
– Tu te rends compte le traumatisme pour notre fille ? Elle n’a même pas encore trois ans !
C’est incroyable cette capacité qu’ont les femmes de mêler tantôt les pleurs et un calme des plus sereins alors que l’on est toujours dans la même situation.
– Oh ! pour ça, ne t’inquiète pas. Elle a juste été surprise de trouver « deux dames qui dorment ». Mais, après, elle a refermé la porte doucement pour, a-t-elle dit, « laisser dormir les femmes de Papy »…
Je suis groggy. Je me dis que c’est l’effet retard de la tension de ces derniers jours. Que tout va bien et que tout énoncé de problème contient sa solution.
– Mais où est Philippine ? je demande soudain inquiet.
Je m’attends au pire.
– Ben, chez son grand-père, me répond sa mère le plus naturellement du monde.
Je saute sur mes pieds, mû par le ressort de la fibre paternelle.
– Quoi ? Chez ce vieux dingue et avec deux macchabées ! Mais tu es tombée sur la tête, ou quoi ?
Aïe ! j’ai touché au vieux…
– Premièrement, je ne te permets pas de parler de Phil comme ça ! Deuxièmement, la petite et son grand-père s’adorent !
– Mais il est dingue ! je persiste.
Elle contre-attaque.
– Pas le moins du monde. J’ai vu hier après-midi le Dr Lévy – tu sais, son vieil ami psy ? –, eh bien, il m’a certifié que Phil ne représente aucun danger – en tout cas qu’il n’en représente plus. Il est guéri de ses vieilles manies affabulatrices…
Je la coupe pour revenir à la réalité. Les deux momies.
– Il y a quand même deux cadavres dans l’appartement de Philippe-Henri !
– Justement !
– C’est bien ce que je dis, non ? Et j’espère que… – non, ne me dis pas que tu ne l’as pas fait…
Elle a croisé les bras sur sa poitrine. C’est mauvais signe. Du moins pour moi. Généralement, rien ne peut la faire céder. Plus têtue qu’un môme devant sa play-station.
– Non. Je n’ai pas appelé la police et il est hors de question de le faire. De toute façon, toi et moi, nous sommes la police…
– Attends ! J’hallucine ! T’es devenue dingue ! Tu es flic, capitaine à la Crim en plus, et tu sais très bien que notre devoir est de mentionner tout crime et délit dont nous pouvons avoir connaissance. Que nous ne sommes que les auxiliaires de la justice…
– Arrête ton char, Pierre ! C’est à nous de trouver une solution.
– Ne me dis pas que tu veux dissimuler deux cadavres ?
– Les dissimuler, non. Les faire disparaître, oui !
Je tourne en rond comme un tigre enragé et en brassant l’air de mes bras.
– Elle est devenue folle ! Elle veut foutre en l’air nos carrières ! Mais c’est dingue…
Elle n’a toujours pas décroisé ses bras et semble attendre que je me calme. Je finis par me rasseoir. De toute façon, parti comme c’est parti, il est impossible que j’aie le dernier mot.
– Il s’agit simplement de deux corps sans sépulture. Eh bien, nous allons leur en donner une ! me sort-elle avec le plus grand calme comme s’il n’y avait rien de plus naturel.
– Mais ces cadavres, c’est qui ? Depuis combien de temps sont-ils là ? Est-ce qu’il les a tuées, ces deux femmes ? De quoi sont-elles mortes ?… Ton Phil est peut-être un assassin… que dis-je ? sûrement, même… T’es-tu au moins posé cette question ? m’a chérie, dis-je en tentant de poser mes mains sur les épaules de ma femme.
– Bas les pattes ! Il faut d’abord résoudre le problème… L’un des corps est celui de sa mère et l’autre de la femme de ménage qui n’a plus de famille pour s’en inquiéter. Et il ne les a pas assassinées, comme tu oses l’insinuer ignoblement. Elles sont mortes toutes les deux d’un arrêt cardiaque à deux années d’intervalle. Il me l’a juré sur la tête de Philippine – ta fille, je te le rappelle ! –, ce qu’il a de plus précieux au monde avec moi… Et il les a simplement gardées dans l’appartement – pieusement, pourrait-on même dire…
– Mais s’il les avait tuées quand même ?
– Et alors ? L’assassin « au collier de perles », il court toujours, non ? Tu te souviens, le « Père Noël tueur » ? Eh bien, on n’en fait plus toute une pendule et on a même abandonné les recherches… De toute façon, elles sont mortes depuis plusieurs années et c’est pas en traînant Papy en justice qu’on les fera revivre. Pour moi, il y a prescription et il est hors de question de le dénoncer pour de soi-disant crimes – qu’il n’a même pas commis… Et n’oublie pas qu’il s’agit du grand-père de ta fille et que ça la traumatiserait. Mais c’est peut-être ce que tu cherches, après tout ? Tu as toujours été jaloux de lui, de toute façon !
J’ai renoncé à dire quoi que ce soit.
Ce mois de juillet a commencé en calvaire, il doit se terminer en crucifixion. C’est d’une logique imparable.
– T’as une idée ? ai-je fini par demander. Au point où nous en sommes…
– Allons chercher la petite chez Papy. Je t’expliquerai en chemin.



© Alain Pecunia, 2008.
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