Chapitre 6 (suite et fin)
Enfin, une demi-heure plus tard, Isa s’est fait éjecter à son tour. Les gendarmes restaient entre gendarmes.
Elle me prit par le bras et m’entraîna vers la pelouse.
– Le chien a découvert un corps qui n’était pas enterré profondément. Il doit être là depuis quelques semaines seulement, mais il est salement mutilé… Les parties et une oreille en moins… Georges et Marcelle ont identifié leur « M. Domi », l’associé et ami de Jacques Berton. Le brigadier avait eu l’occasion de le rencontrer de son vivant et il l’a reconnu aussi. Dominique Pieri, trente-huit ans. Un repris de justice.
– On a donc retrouvé un des deux « disparus ». Les vieux ont eu la bonne intuition. Ça me surprend.
– Le brigadier, reprit Isa, va lancer un avis de recherche sur Jacques Berton. Il pense qu’il a assassiné son associé et qu’il a disparu, mais il peut être loin maintenant car Georges et Marcelle l’ont vu le samedi 28 juin pour la dernière fois.
– Mais pourquoi aurait-il mutilé le corps ? Les couilles, ça se comprend. C’est peut-être par vengeance. Ça se voit dans les crimes homos. Mais l’oreille…
– Il faut l’examen du légiste pour savoir. En fait, il semble que le corps avait déjà été partiellement déterré par un animal – sûrement le chien du fermier. C’est peut-être lui qui avait commencé à le boulotter… Avec la terre et les saloperies autour, on ne peut pas bien se rendre compte. Ils attendent le légiste pour le dégager entièrement.
Marcelle était secouée.
– Ce pauvre M. Domi, si gentil…
Ma curiosité professionnelle ayant repris le dessus, c’est moi qui pris l’initiative de les garder à dîner cette fois. Mais, pour l’instant, nous avions tous besoin d’un petit remontant.
En observant Marcelle et Georges, je me suis fait deux réflexions.
Premièrement, Marcelle éprouvait une peine évidente pour la mort de Dominique Pieri. Deuxièmement, ni l’un ni l’autre ne parlait de Jacques Berton.
Le brigadier soupçonnait ce dernier, et les deux vieux semblaient admettre sa culpabilité puisqu’ils ne contestaient pas ce point. Pourtant, Marcelle avait connu Jacques tout petit. Pourquoi ne le défendait-elle pas ?
J’ai attendu que notre fille soit couchée avant d’aborder ce qui me tracassait. À brûle-pourpoint. Sans préambule.
– Il y a une chose sur laquelle je m’interroge… Il me semble que, pour vous deux, la culpabilité de Jacques Berton ne fasse aucun doute… Vous qui le connaissiez bien, qu’est-ce qui vous fait penser qu’il est l’assassin ?
À voir leur tête, j’avais fait tilt. Ils semblaient coincer aux entournures.
– Ben, parce qu’il a fui…, finit par dire Marcelle.
– Et puis, sinon, qui est-ce qui aurait tué M. Domi ? lâcha Georges.
C’était effectivement une bonne question. Bien évidemment, je n’allais pas le leur dire. Mais j’ai vu au regard que me jeta Isa qu’elle était sur la même longueur d’onde que moi.
Georges était malin. Il était gêné par sa question-réponse.
– De toute façon, reprit-il d’un air dégagé, ça faisait douze ans qu’on ne l’avait pas vu.
Isa a pris la balle au bond.
– Mais pourquoi est-il parti au Venezuela il y a douze ans ? Qu’est-ce qui a pu se passer pour qu’il ait envie de s’expatrier alors que ses parents étaient riches et qu’il participait à leurs activités d’antiquaire ? Tout à l’heure, Marcelle, vous m’avez dit que ses parents lui avaient même confié la gestion de leur stand de Saint-Ouen…
– Allez donc savoir ! s’empressa de dire Georges. Et puis il ne s’entendait pas si bien que ça avec ses parents et sa sœur qui avait dix-sept ans de plus que lui…
– Il a pu faire une bêtise…, ai-je lâché négligemment.
– Ça, c’est certain, intervint Phil à notre surprise à tous. Quand on part dans ces pays-là, c’est qu’on a fait une bêtise.
– Une grosse bêtise, complétai-je en saisissant la balle à mon tour.
J’étais quand même estomaqué que ce soit Papy qui vivait parmi ses auteurs classiques qui ait trouvé la bonne piste, avant Isa et moi, qui étions les pros.
Georges et Marcelle n’avaient plus qu’une envie. Rentrer chez eux au plus vite.
Mais Phil tenait la grande forme. Il ne voulait pas qu’on lui vole son idée.
– À mon humble avis de professeur agrégé de lettres, s’il n’est pas revenu pour l’enterrement de ses parents quand ceux-ci ont décédé, c’est qu’il ne le pouvait pas. S’il est revenu en avril, c’est qu’il le pouvait.
Isa et moi étions admiratifs. Georges et Marcelle étaient dans leurs petits souliers.
– Poursuis, Phil, l’encouragea Isa.
Il eut un large sourire de satisfaction et posa ses mains à plat sur la table pour se donner une contenance pleine de dignité.
– C’est simple. Pour un crime, la prescription est de dix ans. Il n’y avait pas encore prescription quand ses parents sont morts. Et s’il y avait prescription quand il est revenu, c’est qu’il était parti il y a douze ans après avoir commis un crime. C’est de la pure logique, non ?
Georges et Marcelle s’étaient déjà levés pour prendre congé. Il y avait de la précipitation dans l’air.
Toutefois, je n’ai pas voulu leur poser la dernière question qui me venait à présent à l’esprit. D’ailleurs, c’était inutile. J’avais la réponse.
Après leur départ, j’ai longuement complimenté Phil sur ses déductions logiques.
– Vous nous avez fait gagner du temps. Si, si, je vous l’assure…
Il se pavanait, mais c’était bien mérité pour cette fois. Je comprenais mieux à présent pourquoi Isa le tenait en si haute estime et pourquoi son aide avait été des plus précieuses dans l’affaire de trafic de drogue qu’il avait aidé à résoudre.
Mais je n’ai pas compris qu’il parût gêné quand je lui fis un dernier compliment.
– Papy, vous avez le sens du crime dans le sang ! C’est un don qu’ont en commun les grands criminels et les grands policiers. Les uns pour le mal et les autres pour le bien…
© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.
Enfin, une demi-heure plus tard, Isa s’est fait éjecter à son tour. Les gendarmes restaient entre gendarmes.
Elle me prit par le bras et m’entraîna vers la pelouse.
– Le chien a découvert un corps qui n’était pas enterré profondément. Il doit être là depuis quelques semaines seulement, mais il est salement mutilé… Les parties et une oreille en moins… Georges et Marcelle ont identifié leur « M. Domi », l’associé et ami de Jacques Berton. Le brigadier avait eu l’occasion de le rencontrer de son vivant et il l’a reconnu aussi. Dominique Pieri, trente-huit ans. Un repris de justice.
– On a donc retrouvé un des deux « disparus ». Les vieux ont eu la bonne intuition. Ça me surprend.
– Le brigadier, reprit Isa, va lancer un avis de recherche sur Jacques Berton. Il pense qu’il a assassiné son associé et qu’il a disparu, mais il peut être loin maintenant car Georges et Marcelle l’ont vu le samedi 28 juin pour la dernière fois.
– Mais pourquoi aurait-il mutilé le corps ? Les couilles, ça se comprend. C’est peut-être par vengeance. Ça se voit dans les crimes homos. Mais l’oreille…
– Il faut l’examen du légiste pour savoir. En fait, il semble que le corps avait déjà été partiellement déterré par un animal – sûrement le chien du fermier. C’est peut-être lui qui avait commencé à le boulotter… Avec la terre et les saloperies autour, on ne peut pas bien se rendre compte. Ils attendent le légiste pour le dégager entièrement.
Marcelle était secouée.
– Ce pauvre M. Domi, si gentil…
Ma curiosité professionnelle ayant repris le dessus, c’est moi qui pris l’initiative de les garder à dîner cette fois. Mais, pour l’instant, nous avions tous besoin d’un petit remontant.
En observant Marcelle et Georges, je me suis fait deux réflexions.
Premièrement, Marcelle éprouvait une peine évidente pour la mort de Dominique Pieri. Deuxièmement, ni l’un ni l’autre ne parlait de Jacques Berton.
Le brigadier soupçonnait ce dernier, et les deux vieux semblaient admettre sa culpabilité puisqu’ils ne contestaient pas ce point. Pourtant, Marcelle avait connu Jacques tout petit. Pourquoi ne le défendait-elle pas ?
J’ai attendu que notre fille soit couchée avant d’aborder ce qui me tracassait. À brûle-pourpoint. Sans préambule.
– Il y a une chose sur laquelle je m’interroge… Il me semble que, pour vous deux, la culpabilité de Jacques Berton ne fasse aucun doute… Vous qui le connaissiez bien, qu’est-ce qui vous fait penser qu’il est l’assassin ?
À voir leur tête, j’avais fait tilt. Ils semblaient coincer aux entournures.
– Ben, parce qu’il a fui…, finit par dire Marcelle.
– Et puis, sinon, qui est-ce qui aurait tué M. Domi ? lâcha Georges.
C’était effectivement une bonne question. Bien évidemment, je n’allais pas le leur dire. Mais j’ai vu au regard que me jeta Isa qu’elle était sur la même longueur d’onde que moi.
Georges était malin. Il était gêné par sa question-réponse.
– De toute façon, reprit-il d’un air dégagé, ça faisait douze ans qu’on ne l’avait pas vu.
Isa a pris la balle au bond.
– Mais pourquoi est-il parti au Venezuela il y a douze ans ? Qu’est-ce qui a pu se passer pour qu’il ait envie de s’expatrier alors que ses parents étaient riches et qu’il participait à leurs activités d’antiquaire ? Tout à l’heure, Marcelle, vous m’avez dit que ses parents lui avaient même confié la gestion de leur stand de Saint-Ouen…
– Allez donc savoir ! s’empressa de dire Georges. Et puis il ne s’entendait pas si bien que ça avec ses parents et sa sœur qui avait dix-sept ans de plus que lui…
– Il a pu faire une bêtise…, ai-je lâché négligemment.
– Ça, c’est certain, intervint Phil à notre surprise à tous. Quand on part dans ces pays-là, c’est qu’on a fait une bêtise.
– Une grosse bêtise, complétai-je en saisissant la balle à mon tour.
J’étais quand même estomaqué que ce soit Papy qui vivait parmi ses auteurs classiques qui ait trouvé la bonne piste, avant Isa et moi, qui étions les pros.
Georges et Marcelle n’avaient plus qu’une envie. Rentrer chez eux au plus vite.
Mais Phil tenait la grande forme. Il ne voulait pas qu’on lui vole son idée.
– À mon humble avis de professeur agrégé de lettres, s’il n’est pas revenu pour l’enterrement de ses parents quand ceux-ci ont décédé, c’est qu’il ne le pouvait pas. S’il est revenu en avril, c’est qu’il le pouvait.
Isa et moi étions admiratifs. Georges et Marcelle étaient dans leurs petits souliers.
– Poursuis, Phil, l’encouragea Isa.
Il eut un large sourire de satisfaction et posa ses mains à plat sur la table pour se donner une contenance pleine de dignité.
– C’est simple. Pour un crime, la prescription est de dix ans. Il n’y avait pas encore prescription quand ses parents sont morts. Et s’il y avait prescription quand il est revenu, c’est qu’il était parti il y a douze ans après avoir commis un crime. C’est de la pure logique, non ?
Georges et Marcelle s’étaient déjà levés pour prendre congé. Il y avait de la précipitation dans l’air.
Toutefois, je n’ai pas voulu leur poser la dernière question qui me venait à présent à l’esprit. D’ailleurs, c’était inutile. J’avais la réponse.
Après leur départ, j’ai longuement complimenté Phil sur ses déductions logiques.
– Vous nous avez fait gagner du temps. Si, si, je vous l’assure…
Il se pavanait, mais c’était bien mérité pour cette fois. Je comprenais mieux à présent pourquoi Isa le tenait en si haute estime et pourquoi son aide avait été des plus précieuses dans l’affaire de trafic de drogue qu’il avait aidé à résoudre.
Mais je n’ai pas compris qu’il parût gêné quand je lui fis un dernier compliment.
– Papy, vous avez le sens du crime dans le sang ! C’est un don qu’ont en commun les grands criminels et les grands policiers. Les uns pour le mal et les autres pour le bien…
© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.
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