Chapitre 23
Le même soir, après que leur fille Philippine eut accepté d’aller se coucher, Isabelle et Pierre Cavalier échangèrent leur moisson d’informations et firent le point.
Le personnage central du puzzle restait donc le préfet Bernard Bonnot. Les quatre couples y avaient pris leur place ainsi que leurs filles.
Quelque chose avait dû déraper au niveau de leurs activités « de groupe ».
Bernard Bonnot n’avait pas assisté à la cérémonie religieuse. Sûrement par prudence.
S’il avait tiré les fils des meurtres, il devait juger préférable de rester dans l’ombre. Éviter que les enquêteurs ne puissent établir un lien entre lui et les parents des deux victimes.
Et il avait raison. Il ne pouvait se douter des révélations de Christelle de Saint-Fort.
– Merde, mais si ! dit Isabelle en bondissant de sa chaise.
– Qu’est-ce qui te prend ? demanda son mari surpris.
– Nous sommes idiots ! Si Sabrina Claron a trouvé le moyen de lui faire savoir qu’elle a croisé Christelle de Saint-Fort à la Crim, il peut craindre qu’elle n’ait parlé et elle est donc en danger.
– Il risquerait gros de la faire disparaître. Deux crimes dans la même famille, ça ferait trop de bruit et ça le mettrait en danger.
– Mais c’est un pervers vicelard, cet enfoiré ! cria Isabelle. Il se croit au-dessus des lois. Rien ne l’arrêtera.
– Elle ne va pas se faire étrangler, arrête de délirer, Isa…
– T’as raison, elle ne va pas se faire étrangler, dit Isabelle la voix étranglée. Ils vont la tuer autrement. Et je ne sais même pas où elle se trouve…
Pierre Cavalier réalisa soudainement que sa femme avait raison.
– Je suis con, lâcha-t-il la voix blanche.
– Bon, mais sois un con utile. Fais quelque chose avec ton service à la noix !
Pierre Cavalier ferma les yeux pour se concentrer.
– Bon, fit-il au bout d’une minute qui parut interminable à Isabelle. C’est Lenoir qui surveille l’hôtel de Bonnot cette nuit. Personne n’en est sorti ou entré, sinon il aurait téléphoné. Par ailleurs, Christelle n’a pas dû loger chez ses parents et les Saint-Fort sont partis enterrer Angeline dans un bled en Touraine où ils ont une maison de famille. Elle n’était pas avec eux. À mon sens, elle a repris un train pour Strasbourg. C’est donc là-bas qu’elle est en danger.
– Ou pendant le trajet ? intervint Isabelle.
– Non, je ne crois pas. Je serais eux, j’organiserais un accident genre piéton renversé par un chauffard ou un suicide quelconque, type la sœur qui a culpabilisé d’avoir rompu avec sa famille et ne surmonte pas le décès de sa petite sœur.
Isabelle considéra son mari avec étonnement, comme si elle avait affaire à un étranger.
– Comment tu fais pour penser tordu comme eux ?
Il haussa les épaules et crispa les mâchoires. Il avait failli dire : « C’est mon boulot ! »
– J’imagine, c’est tout. Et je ne vois pas de hauts fonctionnaires mettre la main à la pâte. Ces types-là, ils sont habitués à avoir des sous-fifres et des larbins. Ils n’ont pas de sens pratique, sinon ça se saurait. Ils feraient moins de conneries.
– À qui tu penses ?
– Il est où ton lieutenant Toussaint ?
– Il a pris deux jours. Il a un tas de récups en retard. Mais la Crim ne va pas lancer un avis de recherche comme ça contre un de ses hommes ! fit Isabelle dépitée.
– Non, mais moi je peux mettre un dispositif de surveillance à la gare et autour du domicile de Christelle. Si rien ne se passe cette nuit, elle restera sous surveillance jour et nuit jusqu’à ce qu’on en ait fini avec ces salauds.
Pierre Cavalier passa les coups de fil nécessaire.
Il était près de vingt-deux heures.
Il espéra qu’il ne soit pas trop tard.
Elle avait dû prendre gare de l’Est le TGV de dix-sept heures quarante-sept ou de dix huit-heures cinquante.
L’un et l’autre arrivaient respectivement à Strasbourg-Gare à vingt et une heures quarante-sept et vingt-deux heures cinquante-deux.
– Ils peuvent se mettre en place rapidement ? demanda Isabelle angoissée.
– Oui, là-bas, il y a une équipe spéciale pour le Parlement que je peux mobiliser dans l’heure. Si elle a pris le train qui arrive dans près d’une heure, nous serons dans les temps.
Pierre Cavalier s’efforça d’imaginer le comportement d’un flic comme Matthieu Toussaint.
La cérémonie religieuse s’était terminée à quinze heures trente et il n’était pas présent dans l’assistance.
A priori, il ne pouvait pas savoir si Christelle de Saint-Fort resterait ou non à Paris. Par exemple, jusqu’au week-end. Mais si la jeune femme avait fui cinq ans plus tôt Paris et ses mauvais souvenirs, elle n’avait sûrement pas envie d’y traîner maintenant.
Il se mit à la place de Matthieu Toussaint.
« Moi, j’aurais appelé le secrétariat en me faisant passer pour un journaliste et demandé à parler à l’attachée parlementaire du député X. Et le secrétariat m’aurait indiqué sa date de retour. »
Donc, Toussaint a dû partir en début d’après-midi dès que la décision d’élimination de la jeune femme a été prise.
Par Bernard Bonnot, probablement.
Il appela le lieutenant Gilbert Lenoir qui était en train de planquer dans une cuisine qui donnait sur l’entrée de la porte cochère de l’immeuble de Bonnot. Chez une vieille dame qui était toute contente de rendre service à la police. – « Ça me fera un peu de compagnie », avait-elle dit.
Il lui demanda de visionner la bande enregistreuse comprenant la plage horaire entre midi et deux et de vérifier la venue à l’hôtel de Matthieu Toussaint.
Les téléphones de Bonnot étant sous surveillance, Toussaint avait dû obligatoirement se déplacer pour lui rendre visite.
– Mais je t’assure, dit Lenoir, personne n’est venu de la journée.
– D’accord, mais celui qui t’a précédé a peut-être été pisser ou abandonné sa surveillance cinq minutes et aura eu la flemme de visionner la bande.
– Mais il l’aurait ensuite vu ressortir, objecta Lenoir. Et Toussaint et Bonnot ont peut être pu communiquer par courrier électronique…
– Non. Je suis convaincu qu’il est venu et qu’il est reparti par une autre sortie. Les caves de l’hôtel doivent communiquer avec les caves d’un autre immeuble sur le derrière.
La vieille dame, insomniaque, rôdaillait dans la cuisine et ne perdit pas un mot de la communication.
Elle tapota l’épaule du lieutenant.
– Excusez-moi, monsieur, dit-elle pour attirer son attention.
Gilbert Lenoir demanda à Pierre Cavalier de patienter.
Elle avait un air de petite fille prise en faute.
– Vers une heure et demie, j’ai remplacé votre collègue pour qu’il puisse déguster le sauté de veau que je lui avais préparé.
Le lieutenant Lenoir crut halluciner.
– Oh ! ne vous inquiétez pas. Il a mangé là dans la cuisine et il a juste été au petit coin après…
– C’est tout ? demanda Lenoir.
– Il a aussi été acheter des cigarettes. Juste un quart d’heure. Mais ne vous inquiétez pas, j’ai surveillé à sa place…
Elle se mit à rougir de confusion.
– … Mais il n’y a que des habitués qui sont passés sous le porche. Des gens qui habitent les appartements dans les anciens communs ou des gens que je vois souvent venir. Rien de particulier, vous savez. C’est ce que j’ai dit à votre collègue…
Gilbert Lenoir s’efforça de rester calme. La vieille dame n’y était pour rien.
Il prit une des photos parmi celles posées sur un coin de la table de la cuisine et la mit sous le nez de la propriétaire des lieux.
– Ce monsieur, qui est un habitué, vous l’avez vu ?
– Bien sûr, quand votre collègue a fini de déjeuner et que je lui ai servi son café ! répondit-elle en haussant les épaules.
Le lieutenant Lenoir fit un bref calcul mental et reprit sa communication avec Pierre Cavalier.
– Confirmation. Il est venu entre quatorze heures et quatorze heures quinze…, dit-il en regardant la vielle dame qui lui montrait les dix doigts de ses mains. Je peux même te préciser. Dix heures dix.
– Bravo, vieux ! Tu as été super rapide pour visionner deux heures de bande de surveillance, le félicita le commandant Cavalier.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
Le même soir, après que leur fille Philippine eut accepté d’aller se coucher, Isabelle et Pierre Cavalier échangèrent leur moisson d’informations et firent le point.
Le personnage central du puzzle restait donc le préfet Bernard Bonnot. Les quatre couples y avaient pris leur place ainsi que leurs filles.
Quelque chose avait dû déraper au niveau de leurs activités « de groupe ».
Bernard Bonnot n’avait pas assisté à la cérémonie religieuse. Sûrement par prudence.
S’il avait tiré les fils des meurtres, il devait juger préférable de rester dans l’ombre. Éviter que les enquêteurs ne puissent établir un lien entre lui et les parents des deux victimes.
Et il avait raison. Il ne pouvait se douter des révélations de Christelle de Saint-Fort.
– Merde, mais si ! dit Isabelle en bondissant de sa chaise.
– Qu’est-ce qui te prend ? demanda son mari surpris.
– Nous sommes idiots ! Si Sabrina Claron a trouvé le moyen de lui faire savoir qu’elle a croisé Christelle de Saint-Fort à la Crim, il peut craindre qu’elle n’ait parlé et elle est donc en danger.
– Il risquerait gros de la faire disparaître. Deux crimes dans la même famille, ça ferait trop de bruit et ça le mettrait en danger.
– Mais c’est un pervers vicelard, cet enfoiré ! cria Isabelle. Il se croit au-dessus des lois. Rien ne l’arrêtera.
– Elle ne va pas se faire étrangler, arrête de délirer, Isa…
– T’as raison, elle ne va pas se faire étrangler, dit Isabelle la voix étranglée. Ils vont la tuer autrement. Et je ne sais même pas où elle se trouve…
Pierre Cavalier réalisa soudainement que sa femme avait raison.
– Je suis con, lâcha-t-il la voix blanche.
– Bon, mais sois un con utile. Fais quelque chose avec ton service à la noix !
Pierre Cavalier ferma les yeux pour se concentrer.
– Bon, fit-il au bout d’une minute qui parut interminable à Isabelle. C’est Lenoir qui surveille l’hôtel de Bonnot cette nuit. Personne n’en est sorti ou entré, sinon il aurait téléphoné. Par ailleurs, Christelle n’a pas dû loger chez ses parents et les Saint-Fort sont partis enterrer Angeline dans un bled en Touraine où ils ont une maison de famille. Elle n’était pas avec eux. À mon sens, elle a repris un train pour Strasbourg. C’est donc là-bas qu’elle est en danger.
– Ou pendant le trajet ? intervint Isabelle.
– Non, je ne crois pas. Je serais eux, j’organiserais un accident genre piéton renversé par un chauffard ou un suicide quelconque, type la sœur qui a culpabilisé d’avoir rompu avec sa famille et ne surmonte pas le décès de sa petite sœur.
Isabelle considéra son mari avec étonnement, comme si elle avait affaire à un étranger.
– Comment tu fais pour penser tordu comme eux ?
Il haussa les épaules et crispa les mâchoires. Il avait failli dire : « C’est mon boulot ! »
– J’imagine, c’est tout. Et je ne vois pas de hauts fonctionnaires mettre la main à la pâte. Ces types-là, ils sont habitués à avoir des sous-fifres et des larbins. Ils n’ont pas de sens pratique, sinon ça se saurait. Ils feraient moins de conneries.
– À qui tu penses ?
– Il est où ton lieutenant Toussaint ?
– Il a pris deux jours. Il a un tas de récups en retard. Mais la Crim ne va pas lancer un avis de recherche comme ça contre un de ses hommes ! fit Isabelle dépitée.
– Non, mais moi je peux mettre un dispositif de surveillance à la gare et autour du domicile de Christelle. Si rien ne se passe cette nuit, elle restera sous surveillance jour et nuit jusqu’à ce qu’on en ait fini avec ces salauds.
Pierre Cavalier passa les coups de fil nécessaire.
Il était près de vingt-deux heures.
Il espéra qu’il ne soit pas trop tard.
Elle avait dû prendre gare de l’Est le TGV de dix-sept heures quarante-sept ou de dix huit-heures cinquante.
L’un et l’autre arrivaient respectivement à Strasbourg-Gare à vingt et une heures quarante-sept et vingt-deux heures cinquante-deux.
– Ils peuvent se mettre en place rapidement ? demanda Isabelle angoissée.
– Oui, là-bas, il y a une équipe spéciale pour le Parlement que je peux mobiliser dans l’heure. Si elle a pris le train qui arrive dans près d’une heure, nous serons dans les temps.
Pierre Cavalier s’efforça d’imaginer le comportement d’un flic comme Matthieu Toussaint.
La cérémonie religieuse s’était terminée à quinze heures trente et il n’était pas présent dans l’assistance.
A priori, il ne pouvait pas savoir si Christelle de Saint-Fort resterait ou non à Paris. Par exemple, jusqu’au week-end. Mais si la jeune femme avait fui cinq ans plus tôt Paris et ses mauvais souvenirs, elle n’avait sûrement pas envie d’y traîner maintenant.
Il se mit à la place de Matthieu Toussaint.
« Moi, j’aurais appelé le secrétariat en me faisant passer pour un journaliste et demandé à parler à l’attachée parlementaire du député X. Et le secrétariat m’aurait indiqué sa date de retour. »
Donc, Toussaint a dû partir en début d’après-midi dès que la décision d’élimination de la jeune femme a été prise.
Par Bernard Bonnot, probablement.
Il appela le lieutenant Gilbert Lenoir qui était en train de planquer dans une cuisine qui donnait sur l’entrée de la porte cochère de l’immeuble de Bonnot. Chez une vieille dame qui était toute contente de rendre service à la police. – « Ça me fera un peu de compagnie », avait-elle dit.
Il lui demanda de visionner la bande enregistreuse comprenant la plage horaire entre midi et deux et de vérifier la venue à l’hôtel de Matthieu Toussaint.
Les téléphones de Bonnot étant sous surveillance, Toussaint avait dû obligatoirement se déplacer pour lui rendre visite.
– Mais je t’assure, dit Lenoir, personne n’est venu de la journée.
– D’accord, mais celui qui t’a précédé a peut-être été pisser ou abandonné sa surveillance cinq minutes et aura eu la flemme de visionner la bande.
– Mais il l’aurait ensuite vu ressortir, objecta Lenoir. Et Toussaint et Bonnot ont peut être pu communiquer par courrier électronique…
– Non. Je suis convaincu qu’il est venu et qu’il est reparti par une autre sortie. Les caves de l’hôtel doivent communiquer avec les caves d’un autre immeuble sur le derrière.
La vieille dame, insomniaque, rôdaillait dans la cuisine et ne perdit pas un mot de la communication.
Elle tapota l’épaule du lieutenant.
– Excusez-moi, monsieur, dit-elle pour attirer son attention.
Gilbert Lenoir demanda à Pierre Cavalier de patienter.
Elle avait un air de petite fille prise en faute.
– Vers une heure et demie, j’ai remplacé votre collègue pour qu’il puisse déguster le sauté de veau que je lui avais préparé.
Le lieutenant Lenoir crut halluciner.
– Oh ! ne vous inquiétez pas. Il a mangé là dans la cuisine et il a juste été au petit coin après…
– C’est tout ? demanda Lenoir.
– Il a aussi été acheter des cigarettes. Juste un quart d’heure. Mais ne vous inquiétez pas, j’ai surveillé à sa place…
Elle se mit à rougir de confusion.
– … Mais il n’y a que des habitués qui sont passés sous le porche. Des gens qui habitent les appartements dans les anciens communs ou des gens que je vois souvent venir. Rien de particulier, vous savez. C’est ce que j’ai dit à votre collègue…
Gilbert Lenoir s’efforça de rester calme. La vieille dame n’y était pour rien.
Il prit une des photos parmi celles posées sur un coin de la table de la cuisine et la mit sous le nez de la propriétaire des lieux.
– Ce monsieur, qui est un habitué, vous l’avez vu ?
– Bien sûr, quand votre collègue a fini de déjeuner et que je lui ai servi son café ! répondit-elle en haussant les épaules.
Le lieutenant Lenoir fit un bref calcul mental et reprit sa communication avec Pierre Cavalier.
– Confirmation. Il est venu entre quatorze heures et quatorze heures quinze…, dit-il en regardant la vielle dame qui lui montrait les dix doigts de ses mains. Je peux même te préciser. Dix heures dix.
– Bravo, vieux ! Tu as été super rapide pour visionner deux heures de bande de surveillance, le félicita le commandant Cavalier.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
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