Chapitre 9
La frangine a passé un coup de fil et nous a servi un dîner micro-onde.
Soupe de poireaux et choucroute mal réchauffée.
À coup sûr, c’est du surgelé.
Je déteste. Avec maman, nous ne mangions jamais de surgelés. Par principe et parce que papa ne supportait pas que l’on dépense dix sous au lieu de deux.
Je n’arrive pas à toucher à ma soupe.
Je suis assis juste en face du Bellou et ça me coupe la faim.
Chaque fois qu’il aspire une cuillerée, il fait un bruit de succion pas possible et il en fout la moitié à côté dont une partie lui dégouline sur le menton et son polo.
La frangine l’engueule, mais le Bellou est imperméable à ce genre de considération.
Même un vieux d’hospice se tiendrait mieux que lui.
Lorsqu’il attaque la choucroute, c’est pire.
Hier, je l’avais de profil et j’ai raté le spectacle.
Quand il mastique, les divers muscles de son visage, la bouche, les lèvres, le nez, le menton, les yeux, les oreilles, les plis du front semblent jouer chacun une partition à la désunisson la plus complète. Les percussions de Strasbourg, à côté, c’est de la pure harmonie, du chant grégorien.
Une sorte de portait cubiste dont chaque élément prendrait vie pour son compte.
Je manque gerber le peu de soupe que j’ai pu avaler et je prétexte un vent coulis pour changer de place et m’installer en face de la frangine.
Elle, c’est plutôt un modelage à la Daumier, mais, au moins, ça ne bouge pas. Et puis je suis habitué. C’est du familier.
Je me force à manger le chou. Avec de la moutarde, ça passe. Mais pas la charcutaille. J’ai l’impression de manger des morceaux de visage du Bellou tombés dans mon assiette.
– Tu n’aimes pas ? me lance ma sœur d’un ton aigre.
– Si, si, que je proteste. Mais je n’ai pas faim. Sûrement à cause de l’enterrement.
Elle hausse les épaules de dédain.
– Quelle sensiblerie ! Mais ça ne m’étonne pas de toi. Moi, ça me donne plutôt faim.
Je repense au petit chaton que papa m’avait ramené pour mes neuf ans et qu’elle avait étouffé le lendemain matin sous l’édredon « en jouant ».
J’en ai été malade toute une semaine et j’ai failli étouffer la Bernique dans son sommeil, « en jouant ». Mais j’avais peur d’elle et je ne voulais pas faire de peine à mes parents.
D’un coup, je comprends mieux son partenariat avec les Colombiens. Elle a trouvé l’âme sœur. Et ma frangine me fait peur à nouveau.
Je m’imagine à la place du chaton et je me demande si je passerai la nuit.
J’ai un mauvais pressentiment. L’impression que la mort rôde. Presque une réalité palpable.
Ça tombe sous le sens, que je me dis.
Cinq kilos de blanche en cavale. Des Colombiens qui réclament leur dû. Un croque-mort bidon. Quatre Dalton. Une mégalo – la frangine. Un paumé – moi. Un dingue – le beauf.
Ça ne peut pas être Blanche-Neige. Plutôt un polar de série B. Un truc où ça défouraille tous azimuts et où il reste pas un type pour raconter ce qui s’est passé.
Pourtant, la frangine n’est pas inquiète. Juste impatiente. Comme si elle croyait encore au retour de son croque-mort.
Et, à ma surprise, il rapplique à l’heure de la vaisselle, tout fiérot, avec la somme. Et cinq kilos de colombienne, c’est pas donné.
Là, je ne comprends plus. J’étais persuadé qu’il avait piqué la coke et s’était tiré.
Mais, à mon sens, ça ne résout pas le problème. La coke, elle a bien disparu. Et si le voleur n’est pas l’un d’entre nous, c’est obligatoirement un coup tordu du Tonio. Donc, il y a toujours de l’insécurité dans l’air.
Je profite de leurs congratulations – « Tu vois que tu pouvais me faire confiance, Perrine », dit le croque-mort, « J’avais confiance », que lui réplique la Bernique – pour annoncer mon départ le lendemain matin.
Dans l’indifférence générale. Excepté le Bellou qui me pince le bras pour attirer mon attention et qui me fait un clin d’œil.
Je suis chez les dingues !
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
La frangine a passé un coup de fil et nous a servi un dîner micro-onde.
Soupe de poireaux et choucroute mal réchauffée.
À coup sûr, c’est du surgelé.
Je déteste. Avec maman, nous ne mangions jamais de surgelés. Par principe et parce que papa ne supportait pas que l’on dépense dix sous au lieu de deux.
Je n’arrive pas à toucher à ma soupe.
Je suis assis juste en face du Bellou et ça me coupe la faim.
Chaque fois qu’il aspire une cuillerée, il fait un bruit de succion pas possible et il en fout la moitié à côté dont une partie lui dégouline sur le menton et son polo.
La frangine l’engueule, mais le Bellou est imperméable à ce genre de considération.
Même un vieux d’hospice se tiendrait mieux que lui.
Lorsqu’il attaque la choucroute, c’est pire.
Hier, je l’avais de profil et j’ai raté le spectacle.
Quand il mastique, les divers muscles de son visage, la bouche, les lèvres, le nez, le menton, les yeux, les oreilles, les plis du front semblent jouer chacun une partition à la désunisson la plus complète. Les percussions de Strasbourg, à côté, c’est de la pure harmonie, du chant grégorien.
Une sorte de portait cubiste dont chaque élément prendrait vie pour son compte.
Je manque gerber le peu de soupe que j’ai pu avaler et je prétexte un vent coulis pour changer de place et m’installer en face de la frangine.
Elle, c’est plutôt un modelage à la Daumier, mais, au moins, ça ne bouge pas. Et puis je suis habitué. C’est du familier.
Je me force à manger le chou. Avec de la moutarde, ça passe. Mais pas la charcutaille. J’ai l’impression de manger des morceaux de visage du Bellou tombés dans mon assiette.
– Tu n’aimes pas ? me lance ma sœur d’un ton aigre.
– Si, si, que je proteste. Mais je n’ai pas faim. Sûrement à cause de l’enterrement.
Elle hausse les épaules de dédain.
– Quelle sensiblerie ! Mais ça ne m’étonne pas de toi. Moi, ça me donne plutôt faim.
Je repense au petit chaton que papa m’avait ramené pour mes neuf ans et qu’elle avait étouffé le lendemain matin sous l’édredon « en jouant ».
J’en ai été malade toute une semaine et j’ai failli étouffer la Bernique dans son sommeil, « en jouant ». Mais j’avais peur d’elle et je ne voulais pas faire de peine à mes parents.
D’un coup, je comprends mieux son partenariat avec les Colombiens. Elle a trouvé l’âme sœur. Et ma frangine me fait peur à nouveau.
Je m’imagine à la place du chaton et je me demande si je passerai la nuit.
J’ai un mauvais pressentiment. L’impression que la mort rôde. Presque une réalité palpable.
Ça tombe sous le sens, que je me dis.
Cinq kilos de blanche en cavale. Des Colombiens qui réclament leur dû. Un croque-mort bidon. Quatre Dalton. Une mégalo – la frangine. Un paumé – moi. Un dingue – le beauf.
Ça ne peut pas être Blanche-Neige. Plutôt un polar de série B. Un truc où ça défouraille tous azimuts et où il reste pas un type pour raconter ce qui s’est passé.
Pourtant, la frangine n’est pas inquiète. Juste impatiente. Comme si elle croyait encore au retour de son croque-mort.
Et, à ma surprise, il rapplique à l’heure de la vaisselle, tout fiérot, avec la somme. Et cinq kilos de colombienne, c’est pas donné.
Là, je ne comprends plus. J’étais persuadé qu’il avait piqué la coke et s’était tiré.
Mais, à mon sens, ça ne résout pas le problème. La coke, elle a bien disparu. Et si le voleur n’est pas l’un d’entre nous, c’est obligatoirement un coup tordu du Tonio. Donc, il y a toujours de l’insécurité dans l’air.
Je profite de leurs congratulations – « Tu vois que tu pouvais me faire confiance, Perrine », dit le croque-mort, « J’avais confiance », que lui réplique la Bernique – pour annoncer mon départ le lendemain matin.
Dans l’indifférence générale. Excepté le Bellou qui me pince le bras pour attirer mon attention et qui me fait un clin d’œil.
Je suis chez les dingues !
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
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