Chapitre 15
La semaine suivante, j’ai mis à exécution mes sages résolutions.
J’ai liquidé mes stocks de cigarettes en attente de livraison et annoncé à mes fournisseurs et acheteurs que je me retirais du commerce contraint et forcé.
J’en ai rajouté sur la pression des flics et c’est passé comme une lettre à la poste.
Ça avait même l’air d’arranger tout le monde.
J’étais comme devenu un pestiféré quand les uns et les autres avaient appris que j’étais le frangin du flic abattu à Pornic.
Ils étaient soulagés et moi aussi.
En une dizaine de jours, mon entreprise de transport était devenue parfaitement clean et j’étais assuré de pouvoir en tirer un bon prix au moment opportun.
Je savais qu’un de mes fournisseurs, un Albanais, avait de l’argent à recycler. L’acheteur idéal.
Je rêvais de plus en plus d’Australie. J’avais déjà largué les amarres quand, le lundi 9 février, je me suis retrouvé sur le cul.
Il était vingt et une heures. J’étais chez moi, vraiment chez moi dans l’ex-appartement de maman, dont j’étais l’unique héritier grâce à la disparition de la Bernique.
Je regardais peinard Crocodile Dundee depuis une demi-heure quand on a sonné à la porte.
J’ai hésité à me lever.
À cette heure-là, ce ne pouvait être que la voisine de palier, la vieille copine de maman qui venait regarder un film à la maison quand elle avait un coup de cafard de vieux.
Ça a sonné un deuxième coup.
J’ai éprouvé un sentiment qui était tout neuf – ou alors très ancien, mais vachement enfoui sous des strates. Un sentiment humain.
J’avais envie de faire plaisir à cette vieille.
Je suis allé ouvrir. Un sourire au coin du bec.
Et je me suis retrouvé en face du Bellou. Un Bellou au sourire de moine béat. Radieux. En pleine forme.
Avec un sac de voyage à bout de bras et un autre en bandoulière.
– Je peux entrer ? qu’il a dit en entrant sans attendre mon invitation et en posant ses sacs dans l’entrée.
Je suis resté comme un con planté là.
– Ben, referme la porte, qu’il a ajouté.
J’étais abasourdi.
J’ai tout de suite compris qu’il allait y avoir du bouleversement dans mes plans migratoires transocéaniques.
Il s’est assis – avachi, plutôt – dans mon fauteuil.
– Tu regardais cette connerie ? qu’il m’a lâché avec un petit air condescendant en pointant son double menton vers ma téloche.
J’ai haussé les épaules. Ma soirée télé était ratée.
– Surpris de me voir, non ?
– T’es guéri ? que je lui ai répondu encore tout à ma surprise.
Alors, là, il s’est marré franchement.
– Tiens, sers-moi un scotch, au lieu de dire des conneries !
Je lui ai servi un verre et m’en suis versé un par la même occasion. J’en avais rudement besoin.
– Je vous ai bien eus, hein ? Je vous ai tous roulés dans la farine. Ta frangine, son gigolo et toi. Enfin, toi, t’étais quand même le plus facile à berner…
Il m’a vexé, ce con. Surtout que je venais juste de réaliser qu’il avait joué la comédie.
– Tu sais, qu’il m’a dit en guise d’explication, quand je suis revenu de Corse en décembre, je n’étais pas tellement dans mon assiette. J’avais failli me faire virer de la police. Alors j’étais un peu dépressif. Puis, quand je me suis aperçu du manège entre la Perrine et son Henri-Jacques, avec ses tenants et aboutissants, j’ai décidé de franchement jouer au débile complet. Pour mieux piéger ces deux malfaisants…
Il s’est interrompu.
Je ne comprenais pas tout. Il avait dû s’en rendre compte.
– Bon, c’est pas grave. Passons plutôt aux choses concrètes. Je suis venu récupérer ma part.
– Ta part. Quelle part ? que je lui ai demandé l’air ahuri.
Il a haussé les épaules dans un geste d’impatience.
– L’enveloppe, connard.
J’ai failli demander quelle enveloppe. Mais je suis resté bouche bée.
– Voilà, t’as l’air de comprendre. L’enveloppe, c’est moi qui l’ai fourrée dans ton sac le matin de ton départ.
Il a attendu que ça percute avant de poursuivre.
– Et comme nous allons dorénavant être associés, je t’en laisse la moitié. Mais je garde la marchandise.
Je me suis laissé tomber sur le fauteuil de maman.
– Ça te la coupe, hein ? Eh oui, je leur ai subtilisé et la came et l’enveloppe.
Jamais je n’aurais imaginé mon beauf aussi retors. Mais ce genre de combine ne pouvait germer que dans un cerveau de flic. Et il était même particulièrement redoutable pour avoir réussi à berner la frangine.
Il m’a alors raconté qu’il avait subtilisé, la nuit de notre arrivée, les clés du corbillard sous l’oreiller de la frangine qui dormait à poings fermés et s’était emparé de la coke.
Comme il avait subtilisé l’enveloppe au petit matin pour la fourrer dans mon sac.
Vu son état, il était insoupçonnable.
Quand le Tonio et ses sbires se sont présentés pour récupérer leur argent, la frangine et son croque-mort ont constaté la disparition de l’enveloppe et se sont mis à paniquer et s’accuser mutuellement de vol.
Le Colombien a immédiatement flairé l’entourloupe.
Ils étaient tous réunis dans le salon. Debout.
Seul le Bellou était assis prostré dans son fauteuil.
Le Tonio a d’abord tiré dans la jambe du Henri-Jacques qui s’est mis à beugler.
La frangine a fait mine de se saisir de son pistolet de service.
Par pur réflexe professionnel, car elle ne le portait pas sur elle.
Les deux sbires lui ont vidé instinctivement leurs deux chargeurs.
Bide et thorax. De l’imparable.
Le croque-mort s’est alors mis à implorer le Tonio. Qui, froidement, lui a tiré un coup de grâce à bout portant.
Les deux sbires se sont mis à explorer sauvagement le salon et le Tonio a pointé son revolver sur le Bellou.
– Moi, je peux vous dire où ils ont planqué la came et le fric, qu’il lui a dit calmement. Et je ne vous demande que la vie en échange.
Le Tonio a tiqué. Les choses gratuites, il avait du mal à comprendre. C’était contraire à sa culture.
– Vous m’avez payé en me débarrassant de ces deux-là, qu’a précisé le Bellou.
– Cause toujours, lui a dit le Tonio.
– Au funérarium. Mais, avant d’y aller, foutez le bordel dans les autres pièces pour que ça fasse plus vrai. Moi, je n’aurai rien vu ni entendu. J’étais planqué dans le grenier.
Le beauf, il les a même aidés à foutre le bordel pour que ça aille plus vite.
Quand ils sont arrivés au funérarium, ça a été le grand cinéma. Cercueils fouillés, urnes renversées, deux des Dalton abattus successivement pour les faire parler, puis l’arrivée miraculeuse du commissaire Antoine et de son équipe.
J’ai pigé qu’il n’y avait rien de miraculeux et que le Bellou avait monté un piège diabolique.
– Comment que tu as fait ? je lui ai demandé un zeste admiratif.
Il m’a souri, satisfait que j’aie pu le suivre jusque-là.
– Internet, petit père, qu’il m’a dit.
Depuis le début de sa déprime, mon beauf avait correspondu avec le commissaire Antoine par courrier électronique. Il informait les Stups de chaque fait et geste de la Bernique et de son associé. Mais il avait fait croire à Antoine que le vol de la coke avait été effectué par le croque-mort et ses quatre Dalton. C’est pour ça qu’Antoine surveillait le funérarium.
La suite était réglée comme du papier à musique.
Mais il y avait un hic. Le Tonio pouvait faire tomber l’alibi du beauf dingue.
– Il n’est pas si con que ça, qu’il m’a dit. S’il me trahissait, moi je peux témoigner qu’il a abattu froidement le croque-mort.
– Mais il peut te soupçonner d’avoir tout manigancé ?
– Non, je suis tranquille. Je connais ce type d’individus. Ce sont des primaires. Il est persuadé que le croque-mort a voulu le rouler.
Je n’en étais pas si sûr. En tout cas, je n’en aurais pas donné ma main à couper. Et je comprenais mieux aussi pourquoi le commissaire Antoine était à la recherche de la marchandise. Il devait bien se douter qu’elle n’était pas perdue pour tout le monde.
– Et le commissaire des Stups, tu crois pas qu’il peut en venir à te soupçonner ? que je lui ai dit.
Mon beauf était malgré tout lucide.
– C’est un risque à courir, qu’il m’a répondu. Mais j’ai ma déprime comme alibi et, s’il doit soupçonner quelqu’un, ce sera Perrine. Mais elle n’est plus là pour répondre aux questions.
– Et si tu étais surveillé et qu’il apprenne que tu m’aies rendu visite ? j’ai rétorqué.
Le Bellou, il avait réponse à tout.
– Je suis sorti de l’hosto depuis une semaine. Il m’a rendu visite le dernier jour et je lui ai dit que j’avais l’intention de venir me reposer chez toi.
– Tu ne manques pas d’air, que je lui ai lâché avec animosité.
– Ben quoi, Jeannot, c’est normal. Tu es la seule famille qui me reste, non ?
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
La semaine suivante, j’ai mis à exécution mes sages résolutions.
J’ai liquidé mes stocks de cigarettes en attente de livraison et annoncé à mes fournisseurs et acheteurs que je me retirais du commerce contraint et forcé.
J’en ai rajouté sur la pression des flics et c’est passé comme une lettre à la poste.
Ça avait même l’air d’arranger tout le monde.
J’étais comme devenu un pestiféré quand les uns et les autres avaient appris que j’étais le frangin du flic abattu à Pornic.
Ils étaient soulagés et moi aussi.
En une dizaine de jours, mon entreprise de transport était devenue parfaitement clean et j’étais assuré de pouvoir en tirer un bon prix au moment opportun.
Je savais qu’un de mes fournisseurs, un Albanais, avait de l’argent à recycler. L’acheteur idéal.
Je rêvais de plus en plus d’Australie. J’avais déjà largué les amarres quand, le lundi 9 février, je me suis retrouvé sur le cul.
Il était vingt et une heures. J’étais chez moi, vraiment chez moi dans l’ex-appartement de maman, dont j’étais l’unique héritier grâce à la disparition de la Bernique.
Je regardais peinard Crocodile Dundee depuis une demi-heure quand on a sonné à la porte.
J’ai hésité à me lever.
À cette heure-là, ce ne pouvait être que la voisine de palier, la vieille copine de maman qui venait regarder un film à la maison quand elle avait un coup de cafard de vieux.
Ça a sonné un deuxième coup.
J’ai éprouvé un sentiment qui était tout neuf – ou alors très ancien, mais vachement enfoui sous des strates. Un sentiment humain.
J’avais envie de faire plaisir à cette vieille.
Je suis allé ouvrir. Un sourire au coin du bec.
Et je me suis retrouvé en face du Bellou. Un Bellou au sourire de moine béat. Radieux. En pleine forme.
Avec un sac de voyage à bout de bras et un autre en bandoulière.
– Je peux entrer ? qu’il a dit en entrant sans attendre mon invitation et en posant ses sacs dans l’entrée.
Je suis resté comme un con planté là.
– Ben, referme la porte, qu’il a ajouté.
J’étais abasourdi.
J’ai tout de suite compris qu’il allait y avoir du bouleversement dans mes plans migratoires transocéaniques.
Il s’est assis – avachi, plutôt – dans mon fauteuil.
– Tu regardais cette connerie ? qu’il m’a lâché avec un petit air condescendant en pointant son double menton vers ma téloche.
J’ai haussé les épaules. Ma soirée télé était ratée.
– Surpris de me voir, non ?
– T’es guéri ? que je lui ai répondu encore tout à ma surprise.
Alors, là, il s’est marré franchement.
– Tiens, sers-moi un scotch, au lieu de dire des conneries !
Je lui ai servi un verre et m’en suis versé un par la même occasion. J’en avais rudement besoin.
– Je vous ai bien eus, hein ? Je vous ai tous roulés dans la farine. Ta frangine, son gigolo et toi. Enfin, toi, t’étais quand même le plus facile à berner…
Il m’a vexé, ce con. Surtout que je venais juste de réaliser qu’il avait joué la comédie.
– Tu sais, qu’il m’a dit en guise d’explication, quand je suis revenu de Corse en décembre, je n’étais pas tellement dans mon assiette. J’avais failli me faire virer de la police. Alors j’étais un peu dépressif. Puis, quand je me suis aperçu du manège entre la Perrine et son Henri-Jacques, avec ses tenants et aboutissants, j’ai décidé de franchement jouer au débile complet. Pour mieux piéger ces deux malfaisants…
Il s’est interrompu.
Je ne comprenais pas tout. Il avait dû s’en rendre compte.
– Bon, c’est pas grave. Passons plutôt aux choses concrètes. Je suis venu récupérer ma part.
– Ta part. Quelle part ? que je lui ai demandé l’air ahuri.
Il a haussé les épaules dans un geste d’impatience.
– L’enveloppe, connard.
J’ai failli demander quelle enveloppe. Mais je suis resté bouche bée.
– Voilà, t’as l’air de comprendre. L’enveloppe, c’est moi qui l’ai fourrée dans ton sac le matin de ton départ.
Il a attendu que ça percute avant de poursuivre.
– Et comme nous allons dorénavant être associés, je t’en laisse la moitié. Mais je garde la marchandise.
Je me suis laissé tomber sur le fauteuil de maman.
– Ça te la coupe, hein ? Eh oui, je leur ai subtilisé et la came et l’enveloppe.
Jamais je n’aurais imaginé mon beauf aussi retors. Mais ce genre de combine ne pouvait germer que dans un cerveau de flic. Et il était même particulièrement redoutable pour avoir réussi à berner la frangine.
Il m’a alors raconté qu’il avait subtilisé, la nuit de notre arrivée, les clés du corbillard sous l’oreiller de la frangine qui dormait à poings fermés et s’était emparé de la coke.
Comme il avait subtilisé l’enveloppe au petit matin pour la fourrer dans mon sac.
Vu son état, il était insoupçonnable.
Quand le Tonio et ses sbires se sont présentés pour récupérer leur argent, la frangine et son croque-mort ont constaté la disparition de l’enveloppe et se sont mis à paniquer et s’accuser mutuellement de vol.
Le Colombien a immédiatement flairé l’entourloupe.
Ils étaient tous réunis dans le salon. Debout.
Seul le Bellou était assis prostré dans son fauteuil.
Le Tonio a d’abord tiré dans la jambe du Henri-Jacques qui s’est mis à beugler.
La frangine a fait mine de se saisir de son pistolet de service.
Par pur réflexe professionnel, car elle ne le portait pas sur elle.
Les deux sbires lui ont vidé instinctivement leurs deux chargeurs.
Bide et thorax. De l’imparable.
Le croque-mort s’est alors mis à implorer le Tonio. Qui, froidement, lui a tiré un coup de grâce à bout portant.
Les deux sbires se sont mis à explorer sauvagement le salon et le Tonio a pointé son revolver sur le Bellou.
– Moi, je peux vous dire où ils ont planqué la came et le fric, qu’il lui a dit calmement. Et je ne vous demande que la vie en échange.
Le Tonio a tiqué. Les choses gratuites, il avait du mal à comprendre. C’était contraire à sa culture.
– Vous m’avez payé en me débarrassant de ces deux-là, qu’a précisé le Bellou.
– Cause toujours, lui a dit le Tonio.
– Au funérarium. Mais, avant d’y aller, foutez le bordel dans les autres pièces pour que ça fasse plus vrai. Moi, je n’aurai rien vu ni entendu. J’étais planqué dans le grenier.
Le beauf, il les a même aidés à foutre le bordel pour que ça aille plus vite.
Quand ils sont arrivés au funérarium, ça a été le grand cinéma. Cercueils fouillés, urnes renversées, deux des Dalton abattus successivement pour les faire parler, puis l’arrivée miraculeuse du commissaire Antoine et de son équipe.
J’ai pigé qu’il n’y avait rien de miraculeux et que le Bellou avait monté un piège diabolique.
– Comment que tu as fait ? je lui ai demandé un zeste admiratif.
Il m’a souri, satisfait que j’aie pu le suivre jusque-là.
– Internet, petit père, qu’il m’a dit.
Depuis le début de sa déprime, mon beauf avait correspondu avec le commissaire Antoine par courrier électronique. Il informait les Stups de chaque fait et geste de la Bernique et de son associé. Mais il avait fait croire à Antoine que le vol de la coke avait été effectué par le croque-mort et ses quatre Dalton. C’est pour ça qu’Antoine surveillait le funérarium.
La suite était réglée comme du papier à musique.
Mais il y avait un hic. Le Tonio pouvait faire tomber l’alibi du beauf dingue.
– Il n’est pas si con que ça, qu’il m’a dit. S’il me trahissait, moi je peux témoigner qu’il a abattu froidement le croque-mort.
– Mais il peut te soupçonner d’avoir tout manigancé ?
– Non, je suis tranquille. Je connais ce type d’individus. Ce sont des primaires. Il est persuadé que le croque-mort a voulu le rouler.
Je n’en étais pas si sûr. En tout cas, je n’en aurais pas donné ma main à couper. Et je comprenais mieux aussi pourquoi le commissaire Antoine était à la recherche de la marchandise. Il devait bien se douter qu’elle n’était pas perdue pour tout le monde.
– Et le commissaire des Stups, tu crois pas qu’il peut en venir à te soupçonner ? que je lui ai dit.
Mon beauf était malgré tout lucide.
– C’est un risque à courir, qu’il m’a répondu. Mais j’ai ma déprime comme alibi et, s’il doit soupçonner quelqu’un, ce sera Perrine. Mais elle n’est plus là pour répondre aux questions.
– Et si tu étais surveillé et qu’il apprenne que tu m’aies rendu visite ? j’ai rétorqué.
Le Bellou, il avait réponse à tout.
– Je suis sorti de l’hosto depuis une semaine. Il m’a rendu visite le dernier jour et je lui ai dit que j’avais l’intention de venir me reposer chez toi.
– Tu ne manques pas d’air, que je lui ai lâché avec animosité.
– Ben quoi, Jeannot, c’est normal. Tu es la seule famille qui me reste, non ?
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
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