Chapitre 5
Je me suis réveillé le lendemain matin avec une migraine pas possible. Ça, c’est le mélange de vins de la veille.
À huit heures, ma frangine a rageusement ouvert les double rideaux et déclenché l’ouverture électrique des volets roulants. Ça m’a fait l’effet d’une fraiseuse de dentiste.
Putain, qu’elle est chiante, la Bernique !
– Debout ! qu’elle a crié en me secouant l’épaule comme une malade.
J’ai grommelé et j’ai fini par obtempérer.
Aujourd’hui, mercredi, c’est l’enterrement de maman. À onze heures.
Sans cérémonie religieuse. Car maman a une dent contre la religion.
Ça remonte loin. Un de ses aïeuls a été brûlé dans sa maison avec meubles, femme, enfants et domesticité.
Faut dire qu’ici on est limite pays chouan.
C’était un notable républicain. Un bleu. Mais c’était là une pratique courante dans les deux camps. Que ce soit au nom de Dieu et du roi ou de la Convention.
Sans quartier. Inexpiable. La preuve, maman va direct au cimetière.
Le cimetière, il est de l’autre côté. Il faut traverser la ville.
À train de corbillard, il y en a pour une bonne demi-heure. Le croque-mort veut qu’on parte à dix heures et quart au plus tard.
Le Bellou ne nous accompagne pas. Son état ne le lui permet pas, a prétendu ma sœur.
Nous nous retrouvons donc dans la plus stricte intimité à l’avant du corbillard.
Il n’y a ni fleurs ni couronnes et je trouve ça tristounet.
Mais c’est la faute du fleuriste. Il les a fait livrer au funérarium.
Il fait grisou et j’ai toujours ma migraine.
Un corbillard, ça ne se remarque même plus. Il roule dans l’indifférence générale seulement ponctuée de quelques appels de phare rageurs et klaxons impatients à cause de son allure.
Du coup, Henri-Jacques accélère et grimpe la côte en seconde.
Il a troqué son pantalon de velours et son pull à col roulé contre un costume sombre à cravate noire.
Mais il n’a toujours pas l’air d’un croque-mort.
À l’arrivée, quatre porteurs nous attendent en rang d’oignon. Ils sont alignés par ordre de taille décroissant. L’effet produit est involontairement comique. On dirait les frères Dalton.
Ils attendent que nous soyons descendus et que Henri-Jacques ouvre l’arrière du fourgon pour se mettre en mouvement.
Ma sœur et moi, nous nous tenons sur le côté.
Henri-Jacques pousse un hurlement.
Les quatre Dalton accourent à la rescousse.
– Bordel de bon Dieu de merde ! crie Henri-Jacques en se retournant.
Je ne comprends pas.
Ma sœur semble inquiète.
Peut-être que le cercueil est coincé, me dis-je.
– Elle n’est plus là ! dit le croque-mort à ma frangine.
Il est totalement désemparé. Ça, je le comprends. Égarer sa cargaison est toujours une faute professionnelle.
Puis je réalise qu’il parle de maman.
Il a perdu maman !
J’en reste stupéfié.
La Bernique, elle, a pris les choses en main.
Elle est partie constater de visu.
– On l’a volée ! hurle-t-elle.
Là, je me sens obligé de la rejoindre.
Tandis qu’elle foudroie Henri-Jacques du regard, j’en profite pour jeter un œil.
Je ne comprends pas. Le cercueil de maman est dans le caisson.
Je suis soulagé.
– Mais elle est là ! dis-je en tentant d’attirer leur attention.
Peine perdue, ils ne m’écoutent pas. Ils sont dans leur délire.
– Je te jure, dis Henri-Jacques à son associée, je n’y suis pour rien.
– Il n’y a que toi et tes quatre larbins qui soyez au courant, rétorque ma sœur en les dévisageant un à un, l’air à la fois vachard et soupçonneux.
Les quatre Dalton sont dans leurs petits souliers.
Le croque-mort a un mouvement de recul comme s’il craignait une baffe de ma frangine.
Moi, à sa place, je me méfierais plutôt de son coup de boule. Il peut être fulgurant. À la sournoise.
Mais c’est le larbin qui est le plus près de ma sœur, un innocent malgré sa mine patibulaire, qui le reçoit en pleine poire.
Il est le plus petit et quasiment à sa hauteur.
– Faudrait pas me prendre pour une conne ! dit-elle.
Les trois autres Dalton battent en retraite en soutenant leur copain.
Je suis gêné. Je jette un regard alentour. Le comportement de ma sœur est inconvenant. Mais nous sommes seuls dans le cimetière.
– Je te jure ! implore Henri-Jacques en faisant un pas en arrière.
Je me retourne vers le corbillard.
Je n’ai pas rêvé, maman est toujours là. Du moins sa boîte.
C’est à ce moment, seulement, que je remarque une petite trappe entrouverte sur le devant du cercueil dans le plancher. Que doit dissimuler en temps ordinaire la porte du caisson quand elle est fermée.
Le logement d’un attirail quelconque, me dis-je en l’examinant.
J’ai l’idée de poser la question à Henri-Jacques, histoire de les calmer. Mais je n’en ai pas le temps. Le fleuriste vient de rappliquer avec ses couronnes.
Du coup, tout se calme.
Les porteurs reviennent et sortent le cercueil pour le porter jusqu’à la sépulture.
Mais, à part moi, personne ne donne réellement l’impression d’être à sa place.
Même civil, le cérémonial est bâclé.
Les porteurs sont si nerveux qu’ils manquent faire valdinguer maman direct le trou.
Henri Jacques a visiblement l’esprit ailleurs et la Bernique bout de rage.
Je me dis que maman a un bien triste enterrement.
Je regrette d’avoir cédé à ma sœur.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
Je me suis réveillé le lendemain matin avec une migraine pas possible. Ça, c’est le mélange de vins de la veille.
À huit heures, ma frangine a rageusement ouvert les double rideaux et déclenché l’ouverture électrique des volets roulants. Ça m’a fait l’effet d’une fraiseuse de dentiste.
Putain, qu’elle est chiante, la Bernique !
– Debout ! qu’elle a crié en me secouant l’épaule comme une malade.
J’ai grommelé et j’ai fini par obtempérer.
Aujourd’hui, mercredi, c’est l’enterrement de maman. À onze heures.
Sans cérémonie religieuse. Car maman a une dent contre la religion.
Ça remonte loin. Un de ses aïeuls a été brûlé dans sa maison avec meubles, femme, enfants et domesticité.
Faut dire qu’ici on est limite pays chouan.
C’était un notable républicain. Un bleu. Mais c’était là une pratique courante dans les deux camps. Que ce soit au nom de Dieu et du roi ou de la Convention.
Sans quartier. Inexpiable. La preuve, maman va direct au cimetière.
Le cimetière, il est de l’autre côté. Il faut traverser la ville.
À train de corbillard, il y en a pour une bonne demi-heure. Le croque-mort veut qu’on parte à dix heures et quart au plus tard.
Le Bellou ne nous accompagne pas. Son état ne le lui permet pas, a prétendu ma sœur.
Nous nous retrouvons donc dans la plus stricte intimité à l’avant du corbillard.
Il n’y a ni fleurs ni couronnes et je trouve ça tristounet.
Mais c’est la faute du fleuriste. Il les a fait livrer au funérarium.
Il fait grisou et j’ai toujours ma migraine.
Un corbillard, ça ne se remarque même plus. Il roule dans l’indifférence générale seulement ponctuée de quelques appels de phare rageurs et klaxons impatients à cause de son allure.
Du coup, Henri-Jacques accélère et grimpe la côte en seconde.
Il a troqué son pantalon de velours et son pull à col roulé contre un costume sombre à cravate noire.
Mais il n’a toujours pas l’air d’un croque-mort.
À l’arrivée, quatre porteurs nous attendent en rang d’oignon. Ils sont alignés par ordre de taille décroissant. L’effet produit est involontairement comique. On dirait les frères Dalton.
Ils attendent que nous soyons descendus et que Henri-Jacques ouvre l’arrière du fourgon pour se mettre en mouvement.
Ma sœur et moi, nous nous tenons sur le côté.
Henri-Jacques pousse un hurlement.
Les quatre Dalton accourent à la rescousse.
– Bordel de bon Dieu de merde ! crie Henri-Jacques en se retournant.
Je ne comprends pas.
Ma sœur semble inquiète.
Peut-être que le cercueil est coincé, me dis-je.
– Elle n’est plus là ! dit le croque-mort à ma frangine.
Il est totalement désemparé. Ça, je le comprends. Égarer sa cargaison est toujours une faute professionnelle.
Puis je réalise qu’il parle de maman.
Il a perdu maman !
J’en reste stupéfié.
La Bernique, elle, a pris les choses en main.
Elle est partie constater de visu.
– On l’a volée ! hurle-t-elle.
Là, je me sens obligé de la rejoindre.
Tandis qu’elle foudroie Henri-Jacques du regard, j’en profite pour jeter un œil.
Je ne comprends pas. Le cercueil de maman est dans le caisson.
Je suis soulagé.
– Mais elle est là ! dis-je en tentant d’attirer leur attention.
Peine perdue, ils ne m’écoutent pas. Ils sont dans leur délire.
– Je te jure, dis Henri-Jacques à son associée, je n’y suis pour rien.
– Il n’y a que toi et tes quatre larbins qui soyez au courant, rétorque ma sœur en les dévisageant un à un, l’air à la fois vachard et soupçonneux.
Les quatre Dalton sont dans leurs petits souliers.
Le croque-mort a un mouvement de recul comme s’il craignait une baffe de ma frangine.
Moi, à sa place, je me méfierais plutôt de son coup de boule. Il peut être fulgurant. À la sournoise.
Mais c’est le larbin qui est le plus près de ma sœur, un innocent malgré sa mine patibulaire, qui le reçoit en pleine poire.
Il est le plus petit et quasiment à sa hauteur.
– Faudrait pas me prendre pour une conne ! dit-elle.
Les trois autres Dalton battent en retraite en soutenant leur copain.
Je suis gêné. Je jette un regard alentour. Le comportement de ma sœur est inconvenant. Mais nous sommes seuls dans le cimetière.
– Je te jure ! implore Henri-Jacques en faisant un pas en arrière.
Je me retourne vers le corbillard.
Je n’ai pas rêvé, maman est toujours là. Du moins sa boîte.
C’est à ce moment, seulement, que je remarque une petite trappe entrouverte sur le devant du cercueil dans le plancher. Que doit dissimuler en temps ordinaire la porte du caisson quand elle est fermée.
Le logement d’un attirail quelconque, me dis-je en l’examinant.
J’ai l’idée de poser la question à Henri-Jacques, histoire de les calmer. Mais je n’en ai pas le temps. Le fleuriste vient de rappliquer avec ses couronnes.
Du coup, tout se calme.
Les porteurs reviennent et sortent le cercueil pour le porter jusqu’à la sépulture.
Mais, à part moi, personne ne donne réellement l’impression d’être à sa place.
Même civil, le cérémonial est bâclé.
Les porteurs sont si nerveux qu’ils manquent faire valdinguer maman direct le trou.
Henri Jacques a visiblement l’esprit ailleurs et la Bernique bout de rage.
Je me dis que maman a un bien triste enterrement.
Je regrette d’avoir cédé à ma sœur.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
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