Chapitre 7
Le samedi 31 mai, je me réveillai en éprouvant un grand sentiment de délivrance.
Je n’allai pas à la pêche et je m’attendis à voir débarquer à tout moment la maréchaussée vu la fréquentation de la pointe Saint-Gildas le week-end et les mômes ou les curieux qui visitaient ses blockhaus.
Rien, ce n’était pas normal.
Une jolie blonde à poil, même morte, ça se remarque au milieu d’un blockhaus. Suffisait de jeter un œil par l’immense embrasure de la pièce d’artillerie pour qu’on ne voie qu’elle.
Le dimanche, j’étais fébrile. Je me forçai à aller pêcher. Pour faire quelque chose. Je me sentis mieux quand je commençai à pousser mon haveneau devant moi au milieu de la trentaine de cons qui avaient eu la même idée.
Pas de gendarmes quand je rentrai chez moi.
Le lundi 2 juin, je décidai de me rendre sur place.
Que dalle. Pas de corps.
Alors, là, les idées les plus folles.
Ils l’ont découverte mais n’ont rien dit pour me tendre un piège… Un disséqueur amateur a profité de l’aubaine… Un clochard anthropophage… Un nécrophile… Un empailleur…
Mais l’hypothèse la plus sérieuse restait le piège des flics.
Et son cabriolet qui était toujours là sur le parking du restau. La capote intacte. Même pas de vandalisme.
Je ne savais plus à quel saint me vouer. Mais il n’y avait pas trente-six solutions logiques pour trouver la conduite à tenir.
Je pris mon courage à deux mains et me rendis à la gendarmerie de Pornic. Les jambes flageolantes que j’avais en pénétrant dans les locaux.
Je me suis laissé tomber sur un siège dans le couloir.
Un gendarme est passé.
– C’est pour quoi ?
– Ma femme a disparu, dis-je, l’air paumé.
Mais je n’avais pas à me forcer vraiment.
Il me regarda avec commisération et me demanda de le suivre.
Nous fûmes vite rejoints par un de ses collègues dans le bureau où il m’avait fait entrer. Je ne sais pas pourquoi, ils vont toujours par deux.
J’expliquai que j’avais donné rendez-vous à ma femme sur le parking du restaurant à dix-neuf heures le vendredi soir précédent. Qu’elle était toujours ponctuelle. Alors je n’avais attendu qu’une demi-heure puis j’étais rentré à la villa. Pensant qu’elle avait oublié notre rendez-vous ou renoncé à venir. Mais elle n’y était pas non plus.
– Vous ne vous êtes pas inquiété ? me demanda l’un d’eux.
Je pris un air piteux. Expliquai mon amour fou pour ma femme devant les gendarmes qui me regardaient presque avec pitié. Ses infidélités. Ses fugues amoureuses. Nos petits accords. Mes pardons. Ma compréhension. Peut-être fautive, je l’admets.
– Elle va sûrement revenir, alors ! me coupa l’autre gendarme en haussant les épaules tandis que son collègue me tapota l’épaule comme pour me réconforter.
– Oui, mais je suis inquiet quand même, insistai-je le regard douloureux. Ce matin, je suis allé à la pointe Saint-Gildas pour voir si elle avait pu arriver plus tard, avoir un malaise, tomber du haut des rochers…
– On l’aurait retrouvé ce week-end, monsieur, me recoupa le même gendarme.
– Oui, mais j’ai vu sa voiture sur le parking du restaurant La Flottille. Il lui est peut-être malgré tout arrivé quelque chose… Il faudrait peut-être fouiller les alentours… Elle a pu être victime d’un sadique, ou se faire enlever ? fis-je le regard éperdu.
Les deux gendarmes se montrèrent nettement plus intéressés.
Mais, au lieu de se précipiter au secours de ma Christine, ils passèrent une heure à remplir ma fiche d’identité et à me poser plein de questions sur mon boulot, le sien, des ennemis possibles, etc.
Puis ils m’emmenèrent sur les lieux dans leur fourgonnette. Une autre estafette nous suivant.
Ils ratissèrent les lieux à six. Plus le chien policier une heure plus tard.
Deux heures ça dura. Mais pas de trace de Christine.
Ils partirent alors dans l’enquête de voisinage pour savoir si quelqu’un avait remarqué quelque chose d’anormal.
Pour eux, elle pouvait très bien être partie avec quelqu’un. De toute façon, pas de corps, pas de problème.
Ils prirent quand même ma déposition. Trois heures malgré l’ordinateur portable !
Ils lanceraient également un avis de recherche. Mais fallait pas que je m’inquiète vu notre relation bizarre. De toute façon, « on vous tiendra au courant ».
– Merci beaucoup, messieurs. Ça me rassure de savoir que vous vous en occupez. Même si c’était une simple fugue.
En sortant de la gendarmerie, je me disais que c’était pas possible, elle allait quand même pas se montrer encore plus chiante morte que vive !
J’étais épuisé par cette journée, aussi je me promis d’aller le lendemain mardi à la pêche, pour me détendre. Ce que je fis.
Le mercredi midi, ils étaient deux gendarmes à ma porte.
– Excusez-nous, mais il y a un point de votre disposition qui ne colle pas… Vous n’êtes pas revenu directement ici. Vous avez déposé être parti de la pointe Saint-Gildas vers dix-neuf heures trente. Vous auriez dû être là vers vingt heures dix. Mais un témoin vous a vu arriver ici vers vingt heures quarante. Soit plus d’une demi-heure plus tard.
– Oh ! excusez-moi, dis-je en prenant l’air penaud. J’étais tellement dépité et malheureux de ce qu’elle me fait subir que j’ai poursuivi mon chemin jusqu’à l’entrée de Saint-Brévin avant de reprendre l’autre voie et de revenir ici.
Le gendarme marqua un temps de silence et regarda son collègue d’un air entendu.
– Nous comprenons, dit-il.
Ils me quittèrent en me jetant presque un regard de pitié.
J’allai me servir un armagnac en la maudissant. Où pouvait-elle bien être encore !
Puis, résigné, je retournai à la pêche tous les jours suivants. Sans autres nouvelles des gendarmes.
De toute façon, l’essentiel était qu’elle fût morte, non ? Que j’en fusse débarrassé à tout jamais. Le corps, on s’en foutait. Et puis j’oubliais tout quand j’allais à la pêche. Comme une thérapie me préparant à un nouveau départ. Alors basta les conneries de Christine !
© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.
Le samedi 31 mai, je me réveillai en éprouvant un grand sentiment de délivrance.
Je n’allai pas à la pêche et je m’attendis à voir débarquer à tout moment la maréchaussée vu la fréquentation de la pointe Saint-Gildas le week-end et les mômes ou les curieux qui visitaient ses blockhaus.
Rien, ce n’était pas normal.
Une jolie blonde à poil, même morte, ça se remarque au milieu d’un blockhaus. Suffisait de jeter un œil par l’immense embrasure de la pièce d’artillerie pour qu’on ne voie qu’elle.
Le dimanche, j’étais fébrile. Je me forçai à aller pêcher. Pour faire quelque chose. Je me sentis mieux quand je commençai à pousser mon haveneau devant moi au milieu de la trentaine de cons qui avaient eu la même idée.
Pas de gendarmes quand je rentrai chez moi.
Le lundi 2 juin, je décidai de me rendre sur place.
Que dalle. Pas de corps.
Alors, là, les idées les plus folles.
Ils l’ont découverte mais n’ont rien dit pour me tendre un piège… Un disséqueur amateur a profité de l’aubaine… Un clochard anthropophage… Un nécrophile… Un empailleur…
Mais l’hypothèse la plus sérieuse restait le piège des flics.
Et son cabriolet qui était toujours là sur le parking du restau. La capote intacte. Même pas de vandalisme.
Je ne savais plus à quel saint me vouer. Mais il n’y avait pas trente-six solutions logiques pour trouver la conduite à tenir.
Je pris mon courage à deux mains et me rendis à la gendarmerie de Pornic. Les jambes flageolantes que j’avais en pénétrant dans les locaux.
Je me suis laissé tomber sur un siège dans le couloir.
Un gendarme est passé.
– C’est pour quoi ?
– Ma femme a disparu, dis-je, l’air paumé.
Mais je n’avais pas à me forcer vraiment.
Il me regarda avec commisération et me demanda de le suivre.
Nous fûmes vite rejoints par un de ses collègues dans le bureau où il m’avait fait entrer. Je ne sais pas pourquoi, ils vont toujours par deux.
J’expliquai que j’avais donné rendez-vous à ma femme sur le parking du restaurant à dix-neuf heures le vendredi soir précédent. Qu’elle était toujours ponctuelle. Alors je n’avais attendu qu’une demi-heure puis j’étais rentré à la villa. Pensant qu’elle avait oublié notre rendez-vous ou renoncé à venir. Mais elle n’y était pas non plus.
– Vous ne vous êtes pas inquiété ? me demanda l’un d’eux.
Je pris un air piteux. Expliquai mon amour fou pour ma femme devant les gendarmes qui me regardaient presque avec pitié. Ses infidélités. Ses fugues amoureuses. Nos petits accords. Mes pardons. Ma compréhension. Peut-être fautive, je l’admets.
– Elle va sûrement revenir, alors ! me coupa l’autre gendarme en haussant les épaules tandis que son collègue me tapota l’épaule comme pour me réconforter.
– Oui, mais je suis inquiet quand même, insistai-je le regard douloureux. Ce matin, je suis allé à la pointe Saint-Gildas pour voir si elle avait pu arriver plus tard, avoir un malaise, tomber du haut des rochers…
– On l’aurait retrouvé ce week-end, monsieur, me recoupa le même gendarme.
– Oui, mais j’ai vu sa voiture sur le parking du restaurant La Flottille. Il lui est peut-être malgré tout arrivé quelque chose… Il faudrait peut-être fouiller les alentours… Elle a pu être victime d’un sadique, ou se faire enlever ? fis-je le regard éperdu.
Les deux gendarmes se montrèrent nettement plus intéressés.
Mais, au lieu de se précipiter au secours de ma Christine, ils passèrent une heure à remplir ma fiche d’identité et à me poser plein de questions sur mon boulot, le sien, des ennemis possibles, etc.
Puis ils m’emmenèrent sur les lieux dans leur fourgonnette. Une autre estafette nous suivant.
Ils ratissèrent les lieux à six. Plus le chien policier une heure plus tard.
Deux heures ça dura. Mais pas de trace de Christine.
Ils partirent alors dans l’enquête de voisinage pour savoir si quelqu’un avait remarqué quelque chose d’anormal.
Pour eux, elle pouvait très bien être partie avec quelqu’un. De toute façon, pas de corps, pas de problème.
Ils prirent quand même ma déposition. Trois heures malgré l’ordinateur portable !
Ils lanceraient également un avis de recherche. Mais fallait pas que je m’inquiète vu notre relation bizarre. De toute façon, « on vous tiendra au courant ».
– Merci beaucoup, messieurs. Ça me rassure de savoir que vous vous en occupez. Même si c’était une simple fugue.
En sortant de la gendarmerie, je me disais que c’était pas possible, elle allait quand même pas se montrer encore plus chiante morte que vive !
J’étais épuisé par cette journée, aussi je me promis d’aller le lendemain mardi à la pêche, pour me détendre. Ce que je fis.
Le mercredi midi, ils étaient deux gendarmes à ma porte.
– Excusez-nous, mais il y a un point de votre disposition qui ne colle pas… Vous n’êtes pas revenu directement ici. Vous avez déposé être parti de la pointe Saint-Gildas vers dix-neuf heures trente. Vous auriez dû être là vers vingt heures dix. Mais un témoin vous a vu arriver ici vers vingt heures quarante. Soit plus d’une demi-heure plus tard.
– Oh ! excusez-moi, dis-je en prenant l’air penaud. J’étais tellement dépité et malheureux de ce qu’elle me fait subir que j’ai poursuivi mon chemin jusqu’à l’entrée de Saint-Brévin avant de reprendre l’autre voie et de revenir ici.
Le gendarme marqua un temps de silence et regarda son collègue d’un air entendu.
– Nous comprenons, dit-il.
Ils me quittèrent en me jetant presque un regard de pitié.
J’allai me servir un armagnac en la maudissant. Où pouvait-elle bien être encore !
Puis, résigné, je retournai à la pêche tous les jours suivants. Sans autres nouvelles des gendarmes.
De toute façon, l’essentiel était qu’elle fût morte, non ? Que j’en fusse débarrassé à tout jamais. Le corps, on s’en foutait. Et puis j’oubliais tout quand j’allais à la pêche. Comme une thérapie me préparant à un nouveau départ. Alors basta les conneries de Christine !
© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.
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